Cerf, coll. « Cogitatio fidei », 2005, 318 p., 30 €.

Ce livre prend le risque d'explorer ce que peut apporter la pratique des Exercices spirituels d'Ignace de Loyola à notre culture qui attache une importance grandissante au « sentir » et à la dimension corporelle de l'existence humaine. C'est dire son importance mais aussi sa difficulté. De nombreuses pistes sont entrouvertes.
L'exercice des cinq sens du corps est le point de départ et le pivot de la réflexion du père jésuite François Marty, philosophe longtemps professeur au Centre Sèvres ; cet exercice achève le parcours de chaque journée à partir de la seconde étape de l'itinéraire appelée « seconde semaine ». La prise au sérieux de cet engagement du corps dans ce qu'il a de plus apparemment extérieur ouvre des perspectives qui éclairent différentes directions de l'évolution de notre culture . l'engagement de l'homme dans le cosmos (l'écologie), dans la vie artistique, dans une liturgie engagée dans une rencontre des langues et des cultures vivifiant leurs différences.
L'auteur attire efficacement l'attention sur cet engagement et ce respect des sens. « Sentir et goûter » mobilisera toutes les ressources de l'existence humaine, en établissant l'importance non pas tant de ce qui est visible, audible, palpable, que de ce qui se donne à voir, entendre et finalement sentir dans toute l'épaisseur de l'humanité.
L'ouvrage est audacieux, suggestif, dans son exploration de chemins ardus. Il commence en réalité avec la deuxième semaine après une longue traversée de la première semaine. Le fait est que cette première étape est le point de départ, mais aussi le socle sur lequel se construit le chemin de la totalité de l'expérience jusqu'à son terme. La réflexion prend en quelque sorte la fin comme point de départ : l'application des sens est le dernier exercice de chaque jour et n'intervient qu'à partir de la seconde semaine.
Le danger serait de valoriser l'exercice des sens en méconnaissant ce qu'il suppose de passage par un engagement de l'activité mentale. La conversion de la première semaine, fruit de la méditation, autorise un juste jeu du sens et des sens. L'application des sens suppose d'avoir fait l'expérience proposée par la méditation sur l'enfer qui termine la première semaine Cet exercice demande de s'imaginer sentir et d'en faire l'application à propos de chacun des sens. « S'imaginer sentir », n'est-ce pas verser du côté du délire ? L'application des sens suppose la conversion de leur usage faussé par la manière dont, subrepticement, le plaisir/déplaisir se substitue à la réalité et tend à barrer l'accès au réel de la rencontre.
La source de la perversion est dans le vouloir propre de l'homme imposant à la réalité d'être conforme à ce que son activité mentale (son intelligence) imagine.