« Si je ne te lave pas, tu ne peux avoir part avec moi »  

(Jn 13, 1-15)

 

Du dernier repas avec Jésus, l’évangéliste Jean n’a retenu que le geste du lavement des pieds. Il le raconte en lieu et place de l’eucharistie dont il ne parle pas explicitement. Car pour le disciple que Jésus aimait, consentir à ce geste qui incline et abaisse Jésus, avec douceur et délicatesse, aux pieds des disciples dont il est le Maître et le Seigneur et manger le pain qu’il leur donne comme son corps livré, c’est « avoir part », ici comme là, à cet extrême de l’amour qui est sa vie et dont il « désire ardemment » que nous vivions nous aussi.

 

En établissant un lien d’équivalence entre le geste du lavement des pieds et le don du corps du Christ comme nourriture, Jean nous suggère que l’Eucharistie est l’actualisation pour chacune et chacun d’entre nous de ce geste du lavement des pieds habité par un amour porté à l’extrême de soi. Seule la dynamique d’un tel amour, qui est Dieu lui-même, pouvait conduire Jésus avec justesse en un tel abaissement : jusqu’à mourir d’amour pour se donner en nourriture. Seule la dynamique d’un tel amour pouvait, en cette mort, l’affranchir des limites de son existence particulière, pour devenir vie de la vie, chair de la chair d’une multitude. « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi ».

 

Ainsi Jésus accomplissait-il le vœu suprême de l’amour : devenir nourriture pour l’autre, vie de sa vie, chair de sa chair, se laisser mutuellement transformer dans le don de ce qu’on est, être comblé de joie par la présence gracieuse de l’autre en soi. Puisse cette contemplation de la Cène en ses deux moments du lavement des pieds et de la fraction du pain, révéler, ou réveiller ce vœu suprême de l’amour que chacune et chacun porte au profond de son humanité ! Nous n’osons pas assez y croire, ou peut-être cela nous fait-il encore peur. Rappelons-nous alors les mots de Jésus à Pierre : « Ce que je fais, tu ne peux le savoir à présent, mais par la suite tu comprendras. » (Jn 13, 7).

 

Vulnérable dans le don qu’il fait de lui-même, Jésus n’a rien à donner, pas même   deux piécettes comme la femme du Temple. Rien à donner sinon lui-même. Devant cette journée qui commence avec les projets, rencontres et activités qui vont nourrir et faire vivre mon cœur et mon corps, puis-je dire au Seigneur : « Prends et reçois Seigneur, ceci est mon corps donné pour engendrer le tien aujourd’hui dans le monde » ?

 

(reprise d’une intervention de P. Charru sj).