Encore une biographie de l'homme d'Assise, pensera-t-on ! Pas vraiment, car il s'agit d'un ouvrage singulier, peu tendre avec les « actualisations » incessantes et abusives de la vie de François (1181-1226), voire les fake news (infox) diffusées par des commentateurs peu rigoureux et désireux de convoquer le saint pour appuyer leurs propres positions. Dans une approche plus exigeante, le capucin Raffaele Ruffo plaide ici pour un retour direct aux sources franciscaines comme les deux Vies de Thomas de Celano (1190-1260), la Légende majeure de saint Bonaventure (1217-1274), la Légende des trois compagnons et bien d'autres.
Mais, contrairement à ce que l'on pourrait penser, l'exercice ne rend pas notre connaissance de François plus aisée. D'abord parce que, comme l'écrit le frère Raffaele, « il n'existe pas une source dépositaire, sûre et exclusive de la vérité historique de François d'Assise ». Les textes originaux, de fait, se superposent et se contredisent parfois : ainsi de l'écart béant que l'on peut noter entre le jeune François dépravé décrit par Celano dans sa première Vie du bienheureux François et l'aimable adolescent « aux mœurs urbaines » dépeint, vingt ans après, par le même biographe dans sa Vita secunda. Mais, ensuite (et c'est la raison d'être du titre du livre), s'attacher aux sources premières nous fait découvrir un saint « aux mille visages », dont la vie et le message ne sont pas dénués de paradoxes.
François se révèle en effet comme un homme doux plus que tout autre, mais capable de violence excessive vis-à-vis de lui-même ; un religieux jetant sur ses frères un regard affectueux, maternel et compréhensif, mais manifestant une extrême exigence à leur égard ; un homme pauvre matériellement mais riche spirituellement (raison pour laquelle Ruffo trouve le qualificatif de poverello bien réducteur) ; un saint épris du soleil mais aussi empli de failles obscures ; un passionné, pétri d'amour courtois au temps de sa jeunesse, mais professant à l'égard des femmes une extrême prudence ; un enthousiaste, dégageant une joie communicative, sans être pour autant d'un optimisme béat ; un pauvre parmi les pauvres entretenant avec les riches et les puissants, en qui il voit aussi des frères, des relations empreintes de respect ; un croyant qui a toutes les raisons de se méfier de l'Église de son temps et qui pourtant ne cesse d'insister sur sa fidélité à l'institution et à ses prêtres ; un amoureux des animaux capable aussi d'en maudire certains, lorsqu'il juge leur comportement méchant ou injuste… Mille visages assurément pour cet homme qui, près de huit siècles après sa mort, n'a pas fini d'inspirer les hommes de notre temps.