« Nous laissons les doigts du souffle / Nous guider dans les ténèbres. » Les premiers vers des Psaumes du bel amour constituent la plus juste des ouvertures. Il s’agit pour nous aussi, lecteurs, de nous laisser guider par un souffle poétique à la fois léger et sûr. Légèreté et fermeté caractérisent la forme de ce recueil, dont les poèmes, tous composés de deux quatrains d’heptasyllabes, n’ont en eux rien qui pèse, rien non plus de flou ni de vaporeux. Certains accents peuvent évoquer Jean Grosjean mais aussi Valéry. Ainsi : « Tout est parvis tout prépare / La venue parfaite et calme. »
Le recueil se construit en effet sur une attente. On y sent le passage du temps, avec les variations de la lumière au fil des saisons, et l’approche d’un secret : attente et écoute du pas du messager, attente du moment de « pousser la porte sombre », attente de la réalisation d’une promesse inscrite au coeur de la vie. Le poète est donc le veilleur, auquel il incombe d’accueillir les sensations les plus subtiles, qui peuvent être autant de signes de l’invisible ; ainsi l’empreinte du vent dans les blés signifie une autre empreinte. La réalité sensible est en effet orientée par la lumière d’un inconnu qui peut se révéler partout, car « toute la vie offerte / Avoue sa part éternelle ».
Mais le souffle qui guide vers la vie nous rapproche aussi de la mort, dont l’ombre gagne peu à peu, de telle sorte que le recueil peut être lu comme un retour à la source de vie éternelle, afin de lutter contre les ténèbres et de s’y apprivoiser. Il advient alors que « La vie la mort se fiancent / Pour ne céder qu’à l’Amour ». La présence du Ressuscité
se laisse entrevoir d’abord en filigrane, puis devient le coeur vivant de la seconde partie. Le poète s’adresse directement à Lui, dans des psaumes de célébration du bel amour, celui qui réconcilie avec le monde, avec le temps, avec les visages humains, reflets d’un autre Visage. Ces psaumes n’ont rien d’éclatant, mais leur murmure continu – ce « murmure des commencements » dont parle Jean-Pierre Lemaire dans sa belle préface – apporte l’apaisement, en recréant une alliance entre ciel et terre, en tentant de rejoindre musicalement l’unité primordiale.
Gérard Bocholier a révélé en France le grand poète de Suisse romande, Anne Perrier. On trouve dans ses vers le même art de donner vie au mystère et d’habiter le silence.

jeanne-marie Baude