La réponse traditionnelle des religions face au scandale du mal consiste à en rejeter la faute sur l'être humain1. Individuellement, le croyant est invité à scruter sa conscience pour identifier son péché et, avec lui, la cause des malheurs qui lui arrivent (les accusations des adversaires de Job fournissent une bonne illustration de cette mentalité). Collectivement, le peuple fait de même lorsqu'il est en butte à des catastrophes politiques, économiques ou naturelles – tel est le ressort de bon nombre des « confessions » qui émaillent l'histoire du peuple hébreu, telle que le livre des Juges ou ceux des Rois nous la présentent. Pourtant, une autre image de Dieu traverse l'Ancien et le Nouveau Testaments, qui réduit à néant la portée d'une telle réponse : si Dieu n'agit pas comme les humains, s'il choisit de pardonner plutôt que de se venger, si surtout il renvoie à la fin des temps le jugement (et, partant, les récompenses et les châtiments de nos comportements actuels), on ne saurait présenter les malheurs présents comme une forme de rétribution immédiate et immanente des fautes humaines.

Devant le scandale de la réalité du mal, qui frappe tout ensemble innocents et coupables, s'est donc déployé un discours philosophique et théologique : la théodicée, qui se donne pour tâche de « justifier » Dieu en conciliant la foi en sa bonté et sa toute-puissance, d'une part, et l'existence du mal2, de l'autre. Toutefois, pour notre conscience moderne, ces discours sonnent creux : symboliquement, l'idée de justifier Dieu « après Auschwitz » est devenue insupportable pour beaucoup3. Deux générations plus tard, l'explosion des révélations d'agressions et d'abus de toute sorte, dans l'Église et dans la société, fait resurgir ce scandale. Pour les accompagnateurs spirituels, chaque retraite amène son lot de personnes blessées, par « la vie » ou par « l'Église », et fait retentir à nos oreilles ces questions lancinantes : pourquoi Dieu a-t-il laissé faire cela ? Comment faire pour lui pardonner ?

Nous n'entendons pas prodiguer de conseil aux accompagnateurs confrontés à de telles situations. Nous ne prétendons pas davantage fournir une réponse à un problème aussi ancien que la religion. Nous voudrions