Ce livre vient à nous comme un hommage et comme la révélation d’un secret : ses anciens élèves d’hypokhâgne, mais aussi ses actuels étudiants du Centre Sèvres ou du Collège des Bernardins, ont en effet demandé à Marguerite Léna de rassembler en un tout une série d’articles nés dans des circonstances diverses afin que l’originalité d’une démarche, le son spécifique d’une voix, l’âme d’une recherche puissent se révéler et se communiquer. Nous découvrons alors, au-delà de la spécialiste de l’éducation que nombre de lecteurs de Christus connaissent, un maître en philosophie qui sait avec délicatesse et fermeté ouvrir au sens d’un problème, faire entrer dans une complexité pour nous conduire au-delà – au centre et en profondeur – jusqu’au moment où le raisonnement débouche sur une lumière qui ranime le désir de vivre et le courage d’agir. Cette maîtrise s’est acquise dans la docilité aux grands textes – Platon, Pascal, Simone Weil, Hannah Arendt, Paul Ricœur, entre autres – auxquels elle sait reconduire avec humilité et hauteur, et dans l’écoute d’une langue française dont elle ouvre les plis pour nous en livrer le sens.

Mais ces « leçons » savoureuses ne sont leçons de philosophie que parce qu’elles constituent dans le même mouvement autant d’exercices spirituels. Pour chacune des questions traitées – la temporalité, les visages de la fragilité, le rapport à autrui, l’histoire –, la raison philosophique, mobilisée avec rigueur et exigence, vient projeter sa lumière en se laissant traverser par un mouvement : l’élan de l’Esprit qui trouve sa source au plus profond – dans le désir de vérité qui l’anime – et qui mène au plus haut, là où la raison se tient devant le mystère. D’où le sous-titre : Petite philosophie théologale, qui exprime l’originalité d’un style philosophique et d’une conception de la sagesse. Parler ainsi, c’est dire que la recherche du vrai ne peut qu’aspirer à la Vérité tout entière en maintenant ouverte la recherche de Dieu ; mais c’est surtout affirmer que la raison trouve toute sa consistance quand elle accueille ce surcroît de vie qu’est la vie divine. D’où un dialogue polyphonique, fait de complémentarités et de tensions, entre questionnement existentiel et texte biblique.
Ainsi, la lecture du livre devient comme un itinéraire qui conduit le lecteur, avec tact et discrétion, sur un chemin de sagesse et d’unification. D’abord et pour commencer, consentir à la durée, entrer dans la patience du pas à pas, se mettre à l’écoute des textes et se rendre disponible au sens qui se construit. La méditation sur la durée permet d’accepter l’ordinaire des jours tout en se rendant disponible à l’événement. Ensuite, accepter le passage par la fragilité, fragilité de l’autre et de soi, fragilité de la solitude où s’affirme la personne et où se creuse l’attente… Alors le mystère et la grâce de l’autre peuvent jaillir : Qui est mon prochain ? Comment pardonner ? Comment entrer dans la confiance ? Le cœur du livre se trouve sans doute dans la quatrième partie dans laquelle celui qui a appris, dans et par la philosophie, à se questionner, est conduit devant la vérité : Ai-je vraiment choisi la vérité et refusé le mensonge ? La vérité est-elle, peut-elle être une Personne ? Le philosophe se tient alors devant le mystère du Christ qui radicalise son désir de vérité tout en le confrontant à la possibilité ou au refus d’un surcroît. Il devient alors possible de chercher à se situer par rapport à d’autres itinéraires philosophiques, qui ont cherché à scruter la tension de la raison et de la foi.
Maître limpide, guide spirituel, Marguerite Léna se montre ici témoin pudique d’une aventure intellectuelle et croyante qu’elle veut nous ouvrir : le livre finit sur un triple et émouvant envoi. Patience de l’avenir dit cette retenue mais aussi cette confiance, cette espérance qui est le cœur de l’apôtre et de l’éducateur. Menée avec fidélité et constance, la recherche philosophique conduit à la sagesse lorsque la vérité n’est pas dissociée de l’amour, que la raison sait trouver la confiance, et que le regard lucide sur le présent ne tue pas le pari sur le sens qui seul ouvre l’avenir.
Jean caron