« Tous pourris ! » Ne l’a-t-on pas souvent entendue, et peut-être prononcée, cette fin de non-recevoir ? Lancée entre la poire et le fromage ou pour conclure des conversations de couloirs, elle nous rassure ; elle nous conforte dans un scepticisme de bon aloi, dans l’idée que nous aurions tort de lever le petit doigt pour prendre nos responsabilités au-delà de notre strict entourage. Certes, les raisons ne manquent pas aujourd’hui pour désespérer de nos responsables, pour stigmatiser leur incompétence ou leur désinvolture – et bien pire encore. Dans un tel océan de médiocrités, quel juste, se dit-on, oserait encore élever la voix ?
Or, on a tendance à l’oublier, les justes se sont presque toujours révélés dans un contexte socio-politique délétère, où l’air était tout aussi irrespirable que le nôtre, l’horizon tout aussi bouché. À quoi les reconnaît-on ? Tout d’abord, à leur allure précipitée pour aller droit au but ; puis à leur façon de ne pas trop s’en laisser conter, tel Job ; enfin, à leur regard vif et pénétrant qui, tel Jean-Baptiste, sait accueillir le premier venu comme un don du ciel, et non comme une menace à notre confort, à notre maison, à notre pays. Les justes vivent parfois discrètement, à deux pas de chez nous. Ils nous apprennent à aplanir le terrain pour laisser place au Juste des Justes là où nous sommes, là où nous serons.