Trad. P.-S. Mau. Cerf, coll. « Histoire », 2004, 784 p., 60 €.

Une vie
? Plutôt l'histoire de la Société du Sacré-Coeur pendant les soixante ans (un record) du supériorat de la Mère Barat.
Tiraillée entre le gallicanisme de l'épiscopat français et la montée de l'ultramontanisme, compromise aux yeux d'un pouvoir tatillon par ses étroites relations avec la Compagnie de Jésus, la jeune Société a parfois risqué de se déchirer sous la pression des rivalités et des luttes de pouvoir ecclésiastique. C'est l'autorité patiente, presque effacée parfois, de la supérieure générale qui a maintenu le cap. Soucieuse du bien des personnes et de la qualité des relations à long terme, Sophie Barat répugnait à trancher dans le vif. Cette attitude de prudente charité a permis la sauvegarde de l'unité et la croissance de la Société.
Ces événements parfois tumultueux, l'auteur les retrace avec sagacité et précision : c'est une femme qui parle d'autres femmes. Mais la personnalité de Sophie s'efface derrière les événements — ce qui n'aurait pas été pour lui déplaire. On constate, sans en saisir les étapes, son évolution à partir d'un rigorisme jansénisant vers un abandon confiant et actif au Coeur de Jésus. A travers un style épistolaire abondant et parfois sentimental, on devine la force d'un amour, source d'une activité inlassable malgré les assauts récurrents de la maladie. Mais qui pourrait décrire l'itinéraire spirituel d'une femme qui> constamment en vue pendant un demi-siècle, n'a laissé aucune note spirituelle personnelle et dont on n'a ni portrait, ni même photo ? Cet effacement de soi est en lui-même le plus beau des messages.