La première fois que je suis entré dans le bureau de Madeleine Delbrêl, au 11 rue Raspail à Ivry, il n’y avait sur la grande table de travail qu’un seul livre : Les quatre évangiles. En l’ouvrant, je découvrais que la quasi-totalité du texte avait été soulignée ou annotée, signe que cet ouvrage avait été lu et relu. Or, la date de parution de l’ouvrage indiquait 1964, l’année même du décès de Madeleine le 13 octobre.
 
Une fréquentation assidue
Cette petite découverte indique à quel point le recours constant à l’Évangile fut pour Madeleine Delbrêl une réalité jusqu’à son dernier souffle. Depuis son arrivée à Ivry en 1933, son activité ne devait guère lui laisser de temps pour la lecture d’ouvrages de théologie ou de spiritualité. Certes, elle avait eu l’occasion de lire les grands auteurs, mais, au fil des années, il semble que sa lecture quotidienne devait de plus en plus se limiter à la seule Parole de Dieu. L’Évangile représentait véritablement son pain quotidien. Hélène Jung témoigne à ce propos : « Lorsqu’on a connu Madeleine Delbrêl, on ne peut la séparer du petit livre qui était sa vie. Tout son être était pétri par l’Évangile et elle s’y référait naturellement, spontanément, de la manière la plus concrète» 1.
 
Pour Madeleine, en effet, « on ne peut rencontrer Jésus pour le connaître sans un recours concret, constant, obstiné à l’Évangile, sans que ce recours fasse intimement partie de notre vie » 2. Les adjectifs qu’elle utilise ici : concret, constant, obstiné, en disent long sur sa détermination et son assiduité à lire l’Évangile. Cette activité n’était pas pour elle réservée aux moments de pause ou aux rares temps libres de son emploi du temps, mais elle constituait le cœur de sa journée au prix souvent d’un âpre combat.
Dans les moments importants de sa vie, comme dans les petites décisions de chaque jour, c’est toujours vers l’Évangile que Madeleine vient d’abord puiser les lumières et la force dont elle a besoin. Seule cette fréquentation assidue et constante permet une transformation profonde de tout notre être à l’image du Christ : « Je pense que l’essentiel est la “reproduction” du Christ en nous par l’Évangile, par son assimilation priante et réaliste » 3. Cette transformation, pour être effective, doit s’inscrire dans la durée, dans la fidélité, et dans une détermination sans faille permettant d’offrir les conditions favorables à une véritable intériorité. La Parole ainsi reçue doit être gardée le temps de la maturation, de la gestation, pour porter son fruit, et engendrer ainsi la vie du Christ en