Il se compose de six lettres adressées à des destinataires si vivants dans le cœur de leur correspondant qu’il serait presque inexact de les appeler « défunts » : sa sœur Claire, disparue de façon tragique la veille de ses vingt ans, son père à la foi simple et courageuse, le curé de son enfance, le fils imaginaire qu’il n’aura jamais, enfin, l’écrivain Jean Sulivan et un ami « envoyé spécial » Gérard.

Trois lieux d’insistance se dégagent de cette prose savoureuse et féconde :
- la résistance de l’humanité à la mort. Il n’existe que « des morts singuliers, uniques, irremplaçables ». La mort en soi n’existe pas, mais le mystère de chaque destin seul a du poids.  Les jugements, les assurances, la fatuité de voir ici l’espérance et là-bas le désespoir, tout tombe, même les discours les plus légitimes, devant la vérité des visages et le genre de respect amoureux que la mémoire exige de ceux qui leur survivent. Face à la douleur et à l’énigme du mal, celle du suicide en particulier, rien d’un spiritualisme béat, mais la gravité d’une douleur qui s’entête à conserver de l’autre la promesse de vie qu’il a incarnée gratuitement une fois pour toutes et pour l’éternité.
- le sens de l’Eglise. L’auteur fait preuve d’un sens profond du charisme et de l’institution, de l’Evangile et de l’Eglise. Il évoque sa vocation sacerdotale avec beaucoup de force, d’humour et de sobriété. Il n’a pas voulu imiter le prêtre à l’ancienne de son enfance mais il sait lui rendre hommage. La bonté et la paix de ce curé, son refus d’humilier demeurent au-delà de toutes les querelles de clocher.
- la profondeur de l’écriture. En parlant de Jean Sulivan, Robert Scholtus indique les impasses et les bonheurs d’un rapport passionné à l’écriture romanesque. La liberté d’une préférence – annoncer et vivre l’infini du Christ plus grand que tout univers romanesque – introduit un détachement à l’égard d’une « insurrection des mots » qui peut faire illusion. Cependant, l’écriture dans ce qu’elle a de plus simple et de plus poétique demeure une offrande incalculable, « un linceul blanc » qui réconcilie l’humanité de Dieu et l’amour des disparus :
"Mystérieusement, les écrivains me rapprochent de vous, sans doute parce que, même quand ils sont encore en vie, ils ont déjà disparu dans leurs oeuvres. Ils ne sont plus que voix en dialogue avec vos voix qui s'éloignent et dans leurs récits peuvent se glisser nos douloureuses histoires d'amour."

                                                                                               
Claude Tuduri, sj