Mireille Hadas-Lebel, historienne française de l'Antiquité, spécialiste de l'histoire du judaïsme, rappelle tout d'abord la triste réputation des pharisiens dans la tradition européenne alors que, d'après l'auteure, ils sont les pères du judaïsme moderne. Ainsi, quand on ouvre un dictionnaire, le terme « pharisianisme » est associé à la notion d'hypocrisie, car les pharisiens ont longtemps été considérés dans l'Europe chrétienne comme des gens fourbes. Cette réputation ne vient pas des écrits de Flavius Josèphe mais d'une mauvaise lecture et interprétation des évangiles qui a imprégné notre culture de façon dommageable.

Mireille Hadas-Lebel, s'appuyant sur les écrits de Flavius Josèphe (Antiquités judaïques, XVII, 161), rappelle que ce courant est apparu sans doute dans le troisième tiers du deuxième siècle avant l'ère chrétienne, au moment du grand-prêtre Jean Hyrcam, fils de Simon Maccabée et neveu de Judas Maccabée, comme groupe déjà constitué. Ce groupe de hassidim (« hommes pieux ») va former le groupe de perushim, terme hébreu qui signifie « séparé ». Face à eux, la caste sacerdotale constitue le groupe des sadducéens qui luttent pour le pouvoir politique et religieux. À l'époque de Jésus, ces deux groupes, s'ils se veulent fidèles tous deux à la Torah, diffèrent dans la suivance de la Loi. Les sadducéens sont uniquement fidèles à la Loi écrite, alors que les pharisiens y ajoutent la Loi dite « orale ». À ces deux groupes, s'ajoute celui des esséniens dont les règles de vie sont très éloignées de celles des pharisiens par leur rigueur et leur éloignement volontaire des foules pour marquer leur différence. D'après Flavius Josèphe, si le groupe des pharisiens n'est pas tout à fait homogène, il aurait fondé des écoles et aurait été au nombre de 6 000 sur 1,5 à 2 millions d'habitants. Leur particularité réside dans leur proximité avec le peuple et leur croyance en la survie de l'âme et une vie après la mort. Ce qui n'est pas le cas des sadducéens qui ne croient pas en une vie après la mort. Si l'auteure énumère les différents courants du judaïsme et leurs divergences, elle insiste sur leur profond accord sur leur foi en un Dieu unique et leur mode de vie fondé sur la Parole divine.

Mireille Hadas-Lebel retourne non seulement aux écrits de Flavius Josèphe mais aussi aux évangiles. Si, dans Matthieu 23, Jésus se retourne contre les pharisiens en les appelant « serpents, race de vipères » et les invective à plusieurs reprises avec des « malheur à vous », Jésus est lui aussi traité, en Matthieu, Luc et Marc, de « blasphémateur », de « profanateur », de « Prince des démons ». Jésus a-t-il voulu dénoncer la doctrine ou seulement les dérives des pharisiens ? Revenant au texte grec, l'historienne révèle que le mot utilisé est une simple exclamation – qu'on peut rapprocher d'un « hélas ! » – et non une malédiction. Pourquoi une telle vindicte de la part de Matthieu ? À Antioche, dans les années 80 de notre ère, les prosélytismes juifs et chrétiens sont en concurrence. Il faut noircir l'image de l'adversaire. Car l'auteure explique que Jésus fut très proche des pharisiens, il en épouse les méthodes et les raisonnements, tout en les critiquant dans leur formalisme et leur fermeture. À la manière des prophètes de l'Ancien Testament, Jésus dénoncerait leurs errances pour les ramener dans le droit chemin de la Loi.

Cet ouvrage, bien documenté, aisé à lire dans un style limpide et clair, opère une solide traversée du premier siècle et redonne des clés pour un rapport vivifiant et fraternel entre Juifs et chrétiens aujourd'hui. Si quelques développements pourraient être discutés avec profit, ce livre intéressera des lecteurs très au fait des recherches comme ceux qui le sont moins.