Christus : Les lieux d'écoute, de consultation ou de conseil continuent de se développer aujourd'hui. Comment interprétez-vous ce phénomène social ?

Emmanuelle Gilbert : C'est un phénomène qui correspond à un besoin et qui nous invite à réfléchir sur la place de la parole dans notre monde actuel.

Tout d'abord, on peut constater qu'on est inondé d'une parole sans réciprocité : radio, télévision, haut-parleurs, publicités, discours politiques… Il s'agit souvent d'une parole qu'on entend plus qu'on ne l'écoute, une sorte de bruit de fond permanent. Dans le même temps, de nombreuses occasions d'échange ont disparu. Les gens vivent davantage isolés ou dans des familles restreintes ; il y a beaucoup de déracinés, moins de vie communautaire. La vie courante devient plus anonyme : des machines automatiques remplacent les guichetiers ; dans les grandes surfaces, des haut-parleurs débitent leurs invites à la consommation, alors qu'il est souvent difficile de trouver un vendeur à qui demander un conseil ; rares sont les lieux où « le brin de causette » a encore sa place.

À la diminution des échanges courants s'ajoutent des changements qui touchent plus spécifiquement l'écoute des problèmes psychologiques : on s'appuie moins sur le prêtre, le directeur de conscience, voire le médecin qui autrefois basait davantage son diagnostic sur l'écoute du malade que sur des examens biologiques. En revanche, aujourd'hui, les apports de la psychanalyse et de l'aide psychologique en groupe sont mieux connus et présentent une alternative efficace dans les contextes de crise. Et puis intervient aussi beaucoup l'accélération de la vie qui nous entraîne dans l'action, sans nous laisser suffisamment de temps pour prendre du recul sur notre vie. D'où le besoin de mettre en place de nouveaux espaces de pensée en ayant recours à