« Je n'ai pas le temps », c'est un gémissement universel. (Sauf de ceux qui en ont trop : malades, chômeurs, vieillards abandonnés…) Mauvais théâtre ? Fausse excuse ? Moyen commode de se dérober à ce qui gêne ou déplaît ? Il se peut. Toutefois, le manque de temps peut être aussi une situation durement subie. On est pris dans le presse-purée, le laminoir des existences humaines. Travail, transports, démarches administratives (cette plaie bureaucratique). L'argent, la maison, les enfants. Les loisirs eux-mêmes. Le médecin, les soins. Le moindre imprévu fait alors figure de catastrophe. On en vient à craindre ses amis.

C'est particulièrement dur pour les femmes. Leur accès aux tâches naguère réservées aux hommes cumule souvent avec la persistance de leurs tâches d'autrefois ! L'électroménager ne résout pas tout : la machine à laver, c'est plus rapide que la lessiveuse d'antan, mais ça demande quand même du temps.

Le temps de travail a diminué depuis l'époque de Marx. Mais il reste encore très souvent un temps rigide, à heures fixes et au contenu continuellement imposé. Bienheureux encore quand c'est pour des tâches qu'on aime ou que, du moins, on estime ; et quand ce n'est pas dans la hâte, le bruit, l'exaspération, le dérangement continuel.

Prêcher à ceux, si nombreux, qui sont pris là-dedans les vertus de la liberté intérieure et la priorité de l'essentiel, n'est-ce pas comme de prêcher aux exploités et aux affamés les beautés de la pauvreté évangélique ? N'est-ce pas se moquer d'eux et déshonorer l'Évangile ? C'est pourquoi, il faut demeurer circonspect à parler du « sens » qu'on peut trouver à une telle existence. La vie est ce qu'elle est, un rythme impitoyable et harassant de tous les jours, et sans fin. Mais il s'y ajouterait un « sens chrétien » qui la rendrait tout autre qu'elle n'est. On peut craindre que ce sens ne soit tout entier dans la tête de celui qui en parle – fût-ce à lui-même.

Méfions-nous aussi de ces évidences qui ne tiennent qu'à distance de la réalité. Deux heures, c'est deux heures : au lieu de les gaspiller chaque soir devant la télé,