On parlera ici de « poids d'humilité » comme on se réfère en théologie à la vertu d'humilité, celle qui « subordonne l'homme à Dieu » et qui « réfrène son esprit pour qu'il ne tende pas de façon immodérée aux choses élevées » 1. Il y a là une position spirituelle, qui est plus qu'une simple thèse intellectuelle. Car la subordination volontaire de l'homme à Dieu, ainsi que l'interdit de s'élever par soi-même à la hauteur du divin, ne vont pas de soi, c'est le moins qu'on puisse dire. Aidant le croyant à atteindre cette fin, la tradition distingue ordinairement deux voies, l'une et l'autre tirées du Sermon sur la montagne. La première, plutôt extérieure, fait de l'humiliation le lieu d'un indéfectible témoignage porté à l'amour : « Heureux êtes-vous lorsqu'on vous insulte, que l'on vous persécute, et que l'on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi (...), car votre récompense sera grande dans les deux » (Mt 5,11-12). La seconde, plus intérieure, consacre l'humilité comme un mode d'être de l'homme, voire un choix personnel du disciple comme tel : « Heureux les pauvres de coeur [traditionnellement interprétés comme les humbles], car le Royaume des deux est à eux » (5,3).
De l'humiliation à l'humilité, il n'y a pas contradiction, mais leur liaison exige réflexion : car rien ne garantit que les humiliations conduisent plus à l'humilité qu'à la simple résignation, et il faut aussi espérer que l'on puisse un tant soit peu vivre dans l'humilité sans désirer ni rechercher les humiliations. La première attitude, celle qui subit des humiliations, ne fait pas nécessairement le choix d'une humilité revendiquée comme telle. Et la seconde posture, celle qui désirerait des humiliations, tire faussement le christianisme du côté du stoïcisme et manque déjà d'humilité à vouloir ainsi