Que la recherche du plaisir sexuel puisse être désordonnée et conduire à des violences trop longtemps tues, y compris dans l’Église, nous en avons aujourd’hui davantage conscience grâce aux récits courageux des victimes1. Le plaisir peut rimer avec le mal. Cependant nos contemporains résistent à regarder le plaisir sous le seul angle du péché comme l’ont fait tant de théologiens et d’hommes d’Église pendant des siècles. Cette histoire, en réalité contrastée, pèse encore sur la crédibilité du catholicisme. Heureusement, des distinctions ont fini par s’établir2, qui réhabilitent le plaisir sexuel aux yeux de la foi chrétienne et permettent de lui donner sens, en dépit de son caractère à jamais énigmatique.
Le poids de la concupiscence
On connaît l’aphorisme de Friedrich Nietzsche (1844-1900) : « Le christianisme a donné du poison à boire à Éros – il n’en est pas mort, mais il a dégénéré en vice. » Les recherches des biblistes et des historiens de la morale convergent pour dire que Tertullien et Augustin sont les premiers contempteurs du plaisir sexuel, au motif que la libido est dominée par l’involontaire après la chute3. Pourtant, la morale contenue dans les lettres de saint Paul était plus réaliste et moins catégorique. L’Apôtre reconnaît la force des besoins affectifs et sexuels, il voit dans le mariage le lieu où ils peuvent s’exprimer de manière harmonieuse. Dit autrement, le mariage est une alternative à la fornication (porneia), il permet de faire bon usage du désir sexuel, qui reste bon en soi4. Croyant imminente la fin des temps, Paul aurait pu imposer à tous le célibat dans la continence, mais il ne le fait précisément pas : célibat et mariage sont deux formes de vie honnêtes, il suffit de discerner