Parution initiale dans Christus n° 157 (janvier 1993).
La morosité, cette humeur chagrine que les Pères de l'Église nommaient acedia, faisait partie de la première « liste » des huit péchés capitaux établie par Évagre. Or celle-ci et sa jumelle la « tristesse » en seront assez vite retranchées. En revanche apparaîtra l'« envie »… Pourquoi cette disparition, dont on peut penser qu'elle ne s'est pas faite au hasard ? Serait-ce que ce péché-là a été peu à peu perçu comme d'un autre ordre que les autres ? Qu'il en serait, lui, comme le fruit ou la conséquence ? La connaissance apportée par la psychanalyse au fonctionnement mental peut-elle nous aider à aller un peu plus loin dans la compréhension de ce problème ?
Au risque d'être un peu scolaire, il nous faut mettre en place des éléments théoriques concernant la façon dont la psyché se construit1 , afin d'être en mesure, dans un second temps, de comprendre la fonction économique2 que pourra alors avoir la morosité.
– Première « loi » : le « moi » cherche à éviter le déplaisir, qui entraîne des états intérieurs d'angoisse. De multiples stratégies, évoluant bien sûr avec le temps (sauf précisément dans des problématiques psychotiques où il y aura fixation), sont mises en place dans ce but.
– Deuxième « loi » : le « moi » ne peut se construire de façon vivante que grâce à l'échange avec l'autre, en l'occurrence au départ la mère (ou son substitut), prototype de tous les échanges à venir.
Mais – et c'est là que les choses se compliquent – le bébé ne peut différencier que des états de bien-être ou de mal-être. En conséquence, il fait équivaloir bien-être avec ce qui est lui, mal-être avec ce qui ne l'est pas. Ainsi, le plaisir qu'il prend à téter le sein indifférencié de la personne qui le lui donne : l'enfant, qui ne sait que les sensations fortes et agréables éprouvées, vit alors sa mère comme faisant nécessairement partie de lui. Ce plaisir qui maintient l'indistinction entre soi et autre constitue le leurre originel et fondateur de toute vie psychique – très précisément son aliénation –, car la recherche de l'objet, si elle se fixe à celle du plaisir pris avec lui, mène à des formes plus
