Préf. J.-M. Mayeur. Cerf, coll. « Histoire », 1997, 816 p , 240 F.

Pour certains, il peut paraître d'une importance toute relative que le Père Anizan, un ancien supérieur des frères de Saint-Vincent-de-Paul, ait fondé, le 25 décembre 1918, les Fils de la Charité. Il s'agit là, cependant, d'une authentique conversion. La pensée des « foules perdues », du « mal des délaissés » a saisi Emile Anizan au point d'y voir le « mal de Dieu ». Dans l'histoire de l'Eglise, ce saisissement est l'occasion d'un retournement, voire d'une révolution. La question sociale est devenue une question théologique. Anizan, même s'il n'a pas les mots pour le dire encore clairement, pense qu'il existe une relation étroite entre les pauvres et le Dieu-Trinité. Relire sa vie avec Jean- Yves Moy ne doit pas nous conduire à vouloir dupliquer ses oeuvres multiples, que le temps a marquées. Cela peut, au contraire, nous aider à comprendre comment cet homme de Dieu, qui « vit » le monde d'une façon nouvelle, ne s'est pas laissé enfermer dans les débats obsolètes d'un appareil autoritaire.
Par une lecture assidue des sources, Moy nous introduit dans un moment difficile de l'Eglise de France, que le Père Anizan a vécu au jour le jour. Jeune prêtre, il « se consume en désirs impuissants », avant de rejoindre en 1886 les frères de Saint-Vincent-de-Paul. Il vit à plein le tournant des années 1890. Sur les grandes questions, modernes et antimodernes se divisent. Anizan, devenu supérieur général en 1907, est au coeur des débats, des tensions et des déchirements. Crise de la société, de l'Eglise et de l'institut. Comment accepter la séparation de l'Eglise et de l'Etat ? Pourquoi admettre la liberté et la démocratie « à l'américaine » ? Quelle place faire, dans l'administtation, aux membres laies d'une congrégation ? 1913 est l'année de la grande crise. « Rome » ayant condamné, le conseil général est déposé et l'institut saigné à blanc. Le 30 novembre 1914, le Père Anizan reçoit la dispense de ses voeux. Mais, six ans plus tard, le 11 juin 1920, c'en est fini du passé. Avec dix-huit compagnons, un nouveau fondateur fait profession. Les « Fils » sont nés avec un « triple idéal » fait de sainteté, d'apostolat et de charité.