Trad. J. Prignaud. Cerf, coll. « Épiphanie », 2008, 205 p., 17 euros.

 
Poustinia. Ce mot russe signifie « ermitage », cette petite maison dans laquelle se retire l’ermite. Un terme peu utilisé dans la littérature spiri­tuelle russe, sauf pour décrire le lieu lui-même, mais rarement comme pour désigner l’idéal de vie. Or, pour Cathe­rine de Hueck Doherty, dans ce livre comme dans bien d’autres, la poustinia « veut dire prière, pénitence, mortifi­cation, solitude, silence, offerts dans un esprit d’amour, d’expiation, ou de réparation envers Dieu ! C’est l’esprit des prophètes d’autrefois ! ».
L’auteur est née en Russie à la fin du XIXe siècle, dans l’aristocratie moscovite. En 1921, elle et son mari, ruinés, fuient la Russie. Ils arrivent au Canada, où ils réussissent assez vite à acquérir richesse et respectabilité. Un jour, elle reçoit un appel à vivre auprès des pauvres et, en 1930, vend tout et part vivre dans les quartiers pauvres de Toronto, Harlem, puis à nouveau aux environs de Toronto, créant des foyers de prière et de charité. Rapidement, d’autres personnes la rejoignent et fondent à leur tour des poustinia. Elle fait aussi rayonner son action par des talents de conférencière dont ce livre, écrit dans les années 60 et 70, est un bon témoin.
C. de Hueck Doherty y développe sa métaphore de la poustinia avec un enthousiasme communicatif, déclinant les aspects de cet engagement spiri­tuel, mais aussi indiquant comment la poustinia est un foyer créateur de vie et de question pour la société. Il est frappant de voir comment une tradi­tion spirituelle trouve à se réinventer lorsqu’elle voyage par delà les frontières : une catholique de tradition russe exilée au Canada, pleinement ancrée dans les problématiques des sociétés nord-améri­caines, retrouve des accents patristiques, l’intuition première du premier fonda­teur de la laura en Russie, ce moine An­toine de Kiev qui mena une vie solitaire. La poustinia de C. de Hoeck Doherty est sans doute paradoxalement un réveil typiquement américain de la tradition érémitique russe.
Un voyage narré avec une langue simple et subtile, une belle voix fémi­nine et maternelle.