Il s'en faut que le mot « mystique » soit de ceux que nous accueillons sans méfiance. Il est, au regard de l'opinion commune et dans le vocabulaire courant, fortement teinté, sinon d'extravagance, du moins d'outrance et de bizarrerie. Le Dictionnaire Robert cite cette réplique de Gide : « Qu'entendez-vous par mystique ? Ce qui présuppose et exige l'abdication de la raison. » « Mystique » et « irrationnel » seraient donc synonymes. Désigner un homme comme mystique, c'est signifier qu'il vit dans un monde à part, idéalement – peut-être – très beau, mais irréel, bien loin des soucis, des activités, du combat quotidien auxquels sont affrontés les autres hommes. On serait tenté, pour un peu, de dire du mystique ce que Péguy disait des kantiens : « Ils ont les mains pures, mais ils n'ont pas de mains. »

À nous en tenir, du moins, aux réactions les plus habituelles, le « mystique », dans le meilleur des cas, nous fait songer à ces personnages à la fois étranges et fascinants que Dostoïevski, dans L'idiot et Les frères Karamazov, a décrits de façon si attachante mais comme flottant un peu au-dessus de notre univers. Le prince Muichkine ou Aliocha ont une extraordinaire pénétration, certes, des pensées les plus intimes de leurs compagnons de vie, mais ils apparaissent, dans le même temps, singulièrement absents. Non seulement ils ne participent pas aux combinaisons, intrigues ou calculs qui se nouent autour d'eux, mais ils paraissent étrangers aux événements quotidiens de l'existence. Ils sont d'une innocence et d'une pureté qui impressionnent et émeuvent leurs proches, mais aussi qui les font sourire. Vraiment, ils sont à part, ils sont ailleurs et d'ailleurs.

Défiance en milieux chrétiens

On pourrait penser qu'à l'intérieur de l'univers chrétien et de l'Église, l'appréciation portée sur la mystique soit fort différente. La tradition mystique jalonne, en effet, toute l'histoire du christianisme d'Ignace d'Antioche à Thérèse de Lisieux, et trouve sa source la plus pure dans les lettres de Paul et l'évangile de Jean. Tradition ininterrompue, toujours actuelle, toujours vivante, qui a ses témoins dans le monde, tout comme dans les cloîtres. Comment ne pas reconnaître la grandeur et la beauté de « l'élan mystique » chez ceux que Bergson, dans Les deux sources de la morale et de la religion, salue comme les pionniers de