François d’Assise, le fondateur des frères Mineurs, est l’un des hommes les mieux connus du XIIIe siècle. Deux ans après sa mort, un frère proche de lui, Thomas de Celano, publia une vie officielle, à la demande du pape Grégoire IX qui avait canonisé François en 1228. Plusieurs de ses compagnons rédigèrent eux aussi leurs souvenirs et les transmirent sous forme de chroniques. Un frère, compétent en liturgie, composa vers 1230 un office liturgique, avec des lectures issues de ces sources ; puis un successeur de François, ministre général de l’Ordre et théologien célèbre, saint Bonaventure, composa lui aussi une vie complète et proposée comme vie officielle de saint François d’Assise (la Legenda major). D’autres frères enfin, au gré des polémiques sur l’interprétation de la vie et des écrits du saint, ajoutèrent d’autres textes fiables. Il faut y ajouter une dizaine de sources importantes provenant d’auteurs étrangers à l’Ordre franciscain. Cette abondance même, qui permet de connaître en détail la vie du saint, compliqua singulièrement le travail des historiens postérieurs, quand il s’agit de faire une synthèse et de confronter des traditions pas toujours concordantes. C’est l’origine de la célèbre « question franciscaine » soulevée à la suite de la parution de la Vie de François d’Assise de l’historien et pasteur protestant Paul Sabatier, en 1894, qui portait sur la généalogie de ces diverses sources anciennes. À la fin du XIXe siècle, et dans la première moitié du XXe, d’autres sources anciennes, et non des moindres, furent découvertes et relancèrent les études franciscaines.
Alors comment peut-on parler aujourd’hui d’une « Vie retrouvée de François d’Assise » ? Tout simplement parce qu’un manuscrit inconnu du XIIIe siècle, récemment mis au jour, a été identifié par Jacques Dalarun, l’un des meilleurs connaisseurs wdu xiiie siècle et des sources franciscaines, et aussitôt acquis par la Bibliothèque nationale. Ce petit manuscrit du XIIIe siècle comporte plusieurs textes, dont une vie abrégée de François d’Assise, jusqu’ici inconnue des historiens. Jacques Dalarun l’a transcrite et traduite, puis l’a présentée dans une communication à l’Académie des inscriptions et belles lettres qui a fait sensation. L’intérêt particulier de ce texte est qu’il a pour auteur Thomas de Celano, le premier biographe de François d’Assise, auteur de la première biographie du saint, publiée deux ans seulement après sa mort. Dans ce nouveau texte, l’auteur commence par dédier au frère Élie d’Assise, ministre général de l’Ordre, cette nouvelle vie de François qu’il a résumée lui-même à la demande dudit frère, se faisant l’écho de plusieurs frères qui désiraient avoir une vie abrégée de François. Ce petit manuscrit est désormais la source écrite la plus ancienne que nous possédions sur François d’Assise. Il n’ajoute pas d’éléments essentiels à ce que nous savions de sa vie, mais il éclaire quelques points discutés sur la genèse et l’interprétation des sources. La présentation faite par Jacques Dalarun évoque les circonstances de la découverte et de l’authentification du texte. Il en donne une analyse comparative avec les autres sources franciscaines et pose les questions qui restent à résoudre sur l’histoire de ce texte et de son utilisation, de sa conservation cachée jusqu’à nos jours. Pour ceux qui ont déjà lu une biographie moderne de François, comme par exemple l’excellent François d’Assise, entre histoire et mémoire d’André Vauchez, la lecture de cette « Vie retrouvée » et de son introduction montrera la perspicacité des historiens dans l’appréciation des sources franciscaines. Pour les autres, ce petit livre pourra être une porte d’entrée vers une meilleure connaissance d’un des personnages les plus attachants de la tradition chrétienne. 

Luc Mathieu