Adrienne von Speyr (1902-1967) était une protestante de Suisse romande, mariée et mère de deux enfants, médecin exerçant sa profession à Bâle, et vivant une vie spirituelle intense et mystique. Elle rencontre le théologien Hans Urs von Balthasar qui la reçoit dans l’Église catholique en 1940. Elle reste très liée avec lui dans un échange théologique et spirituel constant et exerce une influence décisive sur son oeuvre. Elle partage avec lui la même mission pastorale et écrit aussi de son côté une oeuvre théologique étonnante, dont les éditions suisses Johannes-Verlag assument aujourd’hui la publication.
Ce petit livre consacré à la Vierge est une longue contemplation spirituelle des scènes évangéliques de la vie de Marie et donc aussi de celle de Jésus. C’est un texte profond et fort, placé sous le signe du double « oui » de Marie à l’Annonciation et à la Croix, baignant dans la lumière du dessein de Dieu. Il est de belle tenue littéraire et très bien traduit ici. Il nous fait participer à la propre contemplation de la Vierge au moment où elle vivait le mystère de l’Incarnation. Il nous rappelle que Marie n’a pas eu besoin de conversion, qu’elle n’a pas connu la dispersion. Il met en relief sa grande humilité et donne à Joseph une place importante. Marie y est appelée couramment « la Mère », sorte d’épithète de nature, dans la double référence à la fécondité physique de la Mère de Dieu et à la fécondité universelle de la Vierge envers les hommes.
Le lecteur doit être averti que le livre date de 1948, qu’il a été écrit dans le climat de la définition dogmatique de l’Assomption (1950) et qu’il est donc très antérieur au mouvement de Vatican II. L’auteure attribue à Marie, avec une générosité théologique surprenante, un certain nombre de qualifications à l’égard desquelles la recherche historique et théologique contemporaine est infiniment plus réservée : médiatrice, corédemptrice, voeu de chasteté parfaite, épouse du Saint-Esprit – dont l’action au moment de l’Incarnation n’est pas clairement située comme créatrice –, puis épouse du Christ, étant donné la dimension sponsale de sa maternité. L’analogie proposée entre l’Incarnation et l’eucharistie apparaîtra forcée à beaucoup. Comme saint Ignace dans les Exercices spirituels, A. von Speyr propose l’apparition du ressuscité à Marie. La spiritualité très marquée de la souffrance n’est peut-être pas suffisamment équilibrée par la perspective de la résurrection. Mais le centre de gravité de son discours n’est pas dans l’exactitude historique. L’auteure anticipe aussi au temps de l’Évangile certaines institutions ecclésiales, comme les voeux de religion. Il faut mettre ces petits éléments d’inflation théologique au compte de métaphores à ne pas presser. Mais ils sont donnés avec discrétion et l’ouvrage met bien en relief la foi de Marie, ses incompréhensions, les « renvois » dont elle est l’objet de la part de Jésus et sa place dans l’Église dont elle est l’archétype.
L’assomption de Marie est vue comme la réciprocité divine à son égard du mystère de l’Incarnation. Car Marie est avant tout celle qui a été choisie par le Seigneur pour mettre en oeuvre le mystère du Verbe incarné, le mystère du Salut.
L’auteure est une femme mariée, médecin, qui n’a pas peur des réalités et qui est, en même temps, une authentique mystique du XXe siècle. Elle est habitée par la vision d’un Dieu toujours plus grand et déroutant. Mais elle a aussi le sens de l’homme et de la femme, et de leurs particularités. Ce livre n’a donc rien d’ecclésiastique. Il entend situer Marie à la fois dans son vrai mariage avec Joseph et « son état séculier », mais entièrement soumis à l’obéissance divine prioritaire. Il a l’art de faire résonner les paroles évangéliques correspondant aux différents mystères et d’appliquer à Marie certaines paroles de Jésus. Ce livre déconcertera parfois, mais aussi il conduira loin le lecteur, capable de surmonter ses rides, sur le chemin de la contemplation. 
 
Bernard Sesboüé