Au calme dans son oratoire, éclairé de la seule flamme d'une bougie, il fait rouler les mots du psaume sur sa langue comme il fait avec le vin pour en savourer chaque arôme. Il se répète ainsi les paroles d'un autre et se désole de ne pas, ou de ne plus, pouvoir les faire siennes. Il en égrène les formules, cherchant en vain à saisir des parfums qui lui échappent :

« Voyez et goûtez… goûtez et voyez… voyez… goûtez…
Goûtez et voyez le Seigneur est bon…
Goûtez et voyez le Seigneur… »

Dans la pénombre de sa chambre, il ne voit, ni ne goûte rien.

Maintenant qu'il a perdu le plaisir de s'agenouiller, que lui reste-t-il à savourer dans l'oratoire quand il s'y rend à la seule fin de tenir la promesse faite au temps des premiers élans ? Il ne retrouve plus la consolation, qu'il sait réelle, à maintenir son attention sur les lignes de sa Bible. Comment alors s'enivrer du nectar chanté par l'Écriture quand le Seigneur semble ne plus se donner, ni à entendre, ni à regarder, ni à savourer ?

Cependant, malgré le poids qui alourdit les mots de sa prière, il sait que les promesses du psalmiste ne sont pas vaines. Alors, il revient chercher la nuit et le silence d'où, croit-il, ne résonne qu'un monologue intérieur. Et il se tient là… fidèle. Il lit et relit le Livre pour s'imprégner malgré tout des récits et de la sagesse qui emplissent ses pages.

À cette lumière, il se surprend enfin un jour à considérer sa propre vie et à y chercher les traces d'une Présence. Et, comme pour un livre, il en feuillette les pages et se remémore l'infinie succession des événements qui constituent sa vie ordinaire : la saveur d'une rencontre, le goût d'un travail bien fait, mais aussi l'amertume d'un souvenir ou l'âpreté d'une expérience. Relisant ainsi les épisodes d'une existence dont il est toujours tenté de négliger la fécondité, il y trouve le goût qu'il croyait devoir chercher au seul temps de l'oraison silencieuse. Et il découvre que le tumulte des journées foisonnantes, et parfois désordonnées, recèle également la saveur de Dieu. Il perçoit qu'il serait bon de retracer ses pas en tous les humbles lieux de son existence, car c'est dans sa « vie minuscule » que les indices du passage tant désiré sont semés. Et, faisant ainsi bon usage de sa mémoire, il apprend à reconnaître les traces que laissent ses joies et ses larmes à la paix qui demeure, malgré les tempêtes. Il découvre ainsi petit à petit que le Seigneur se donne également là même où il ne le cherchait pas.

Et, par après, il goûte et voit comme cela est bon…

Désormais sa tâche, comprend-il, est de porter sa quête au cœur de la vie quotidienne pour contempler là aussi la présence de Dieu qui se donne à voir et à goûter tant dans l'ordinaire des jours que dans l'oraison. S'exerçant à cet ouvrage, il s'initie à déceler chaque jour, un peu plus tôt, le passage de Dieu et à repousser, toujours un peu plus tôt aussi, la tentation de croire que le Seigneur se dérobe. Certes, il ne l'aperçoit jamais de face, car Dieu ne se voit que de dos, mais il s'en approche petit à petit et, ce faisant, il se réapproprie sa prière. Alors, quand en celle-ci survient l'aridité, il s'émerveille de s'entendre dire en réponse aux mots du psalmiste : « Le Seigneur est en ces lieux et moi je ne le savais pas ! » (Gn 28, 16).