Voici deux livres différents quoique convergeant vers le même sujet. Le livre de Dom Guillaume Jedrzejczak, facile à lire, peu technique, s’exprimant dans le langage actuel, pourrait presque être compris sans référence à la Règle de saint Benoît qu’il ne cite pratiquement pas (il cite plus souvent Cassien). « La foi chrétienne est d’abord et avant tout une invitation au bonheur », nous dit Dom Jedrzejczak et, déjà avant lui, saint Benoît proposait la vie monastique à « l’homme qui aime la vie et désire le bonheur ». Encore faut-il bien situer ce qu’est le bonheur : « En christianisme, le bonheur n’est pas possession et repos, il est quête et désir sans cesse renouvelés. » C’est le message des Béatitudes, et la Règle de saint Benoît trace un chemin pour libérer ce désir de ce qui l’entrave ou le fausse. À l’évidence, le laïc du XXIe siècle ne peut pas vivre cette règle à la lettre ; mais, moyennant les transpositions nécessaires, il y trouvera des « outils de vertus » qui lui permettront de progresser vers ce bonheur. En bon pédagogue, Dom Jedrzejczak se garde bien de faire lui-même ces transpositions mais sa lecture de la Règle, à la fois très libre et très fidèle, permet de saisir, au-delà des prescriptions explicites, l’attitude de fond toujours valable. Qu’on voie, par exemple, ce qui est dit de la pauvreté, de la chasteté et de l’obéissance, constitutives de toute société humaine.
Écrit d’une plume allègre, ce livre nous permet de découvrir dans la Règle de saint Benoît un « art de vivre » étonnamment moderne, un vrai traité de vie spirituelle pour l’homme d’hier et d’aujourd’hui.
Le livre de Pierre Alban Delannoy nous introduit dans l’atelier ou se « fabrique » la Règle. Il cite abondamment des textes d’une ou deux pages qu’il analyse avec rigueur. Comme sa pensée et son style sont très clairs, on le suit sans difficultés mais la lecture de son ouvrage nécessite malgré tout un effort ; un effort récompensé. Depuis une trentaine d’années se sont fondées, en France et ailleurs, des communautés de laïcs voulant vivre de la spiritualité cistercienne. Ce livre nous fait voir comment une de ces communautés, La Grange Saint-Bernard, a su lire la Règle de saint Benoît et les écrits fondateurs de Cîteaux et ainsi définir pas à pas son mode de vie.
Ce qui a permis ce travail, c’est le fait que Cîteaux est né d’une transgression créatrice. Ses fondateurs s’étaient engagés à vivre la stabilité au monastère de Molesme ; ils ont rompu cette stabilité pour pouvoir vivre la Règle ailleurs, plus fidèlement. Se trouvant dans un contexte nouveau, ils ont dû élaborer progressivement leurs propres règles dans la fidélité à celle de saint Benoît. La loyauté et la rigueur avec lesquelles Delannoy, sémiologue de profession, nous présente le travail de relecture accompli par La Grange Saint-Bernard jettent une vive lumière sur la façon dont chacun de nous peut à son tour s’approprier les sources de vie encloses dans des textes anciens. Il y a une vraie joie à suivre ce travail de décryptage des textes qui permet de dépasser ce qui paraissait désuet et de recueillir des fruits de vie. C’est à la fois un modèle de lecture, un exercice de patience et un bel exemple d’aggiornamento
 
Étienne Celier