Itinéraire

Au fil des années, j'ai pu comprendre que la foi en Christ qui m'a été donnée, nourrie grâce à de multiples rencontres, nécessitait d'être partagée. Qu'elle ne pouvait être enfermée. Ce désir se devait de passer par la parole : intuition qui m'a conduit sur un itinéraire littéraire et poétique pouvant être considéré comme le « lieu » d'une expérience spirituelle vécue en ce monde. En ce monde tel qu'il est.

Certes, on peut deviser sur les blessures du monde. Mais, plutôt, ne doit-on pas l'écouter et lui parler au cœur ? La nature humaine si fragile cherche à être en conversation avec le créé. S'il est écrit que l'univers était contemplation et louange, Éden, ne faut-il pas rappeler, dans la patience, dans la confiance, le sens de cette parole primitive que peut transmettre l'écriture poétique ?

La poésie voit et dit le monde à travers le prisme de la création. Et, à ce titre, elle peut justement être ce partage d'une parole de supplication, de louange, de célébration, d'étonnement, d'émerveillement, suscitée par la beauté de la création, aux fins de pouvoir révéler un mouvement d'espoir, voire d'espérance, quelque chose qui s'inscrit dans la réalité pour un bonheur de vivre.

Vers l'intime

Sur ce chemin de poésie où l'on est conduit – chemin souvent ardu parce qu'il déconcerte dans sa folie aux yeux d'un grand nombre – se fait ressentir, face aux transgressions physiques et morales, l'impératif d'un monde renouvelé, recommencé. Et ce, afin de susciter en chacun ce qui est intact, pur, ce qui reste en lui de l'enfance, sans pouvoir, sans puissance, sans prestige, du moins tels que nous les entendons aujourd'hui – un cœur d'enfant semblable à celui que le psalmiste attend, cœur pur pour un esprit tout neuf.

Il en est du bonheur auquel aspire chacun. Ce bonheur dont l'idée que l'on s'en fait veut qu'il demeure une quête permanente d'une lumière intime. Il s'agit alors de donner à entendre, de mettre en valeur, de servir et d'honorer une parole susceptible de ré-enchanter hommes et femmes. La foi parfois vacillante de la poésie, la petite voix de la poésie, met au jour le mystère de nos existences, et propose une approche de la lumière à la suite de la Sagesse : « Plus que la santé et la beauté je l'ai aimée, / et je décidai de l'avoir pour lumière, / car sa clarté ne connaît pas de déclin. » (Sagesse 7, 10).

À partir de la réalité la plus simple des choses, des êtres et des jours, le sujet de la poésie n'est pas d'inventer. Si elle a le pouvoir de dépasser les apparences, elle se nourrit aussi des riens de la vie. Au-delà de ce qui peut paraître détresse des jours, elle désire seulement contribuer non à une connaissance, mais à rendre compte ou, mieux, à dire l'histoire d'une rencontre personnelle avec ce qui fait vivre au cœur le surgissement de l'être. Elle tend à faire s'épanouir le vivant. Le poème, répondant à une nécessité intérieure, qui est vie de l'Esprit, laisse prendre forme par sa parole une perception de l'être au monde, à la vérité de la vie.

La poésie annonce gratuitement et célèbre la joie de celui qui reçoit la vie inépuisable, parce que la louange ouvre à autre que soi, unit êtres et univers. Ainsi est-elle entendue comme parole sacrée, c'est-à-dire éclairée, pour être offerte en nourriture spirituelle à l'inquiétude d'un monde qui peut empêcher l'homme d'être homme. Dans son dernier manuscrit, Simone Weil rappelle qu'il est de l'ordre de l'humain de satisfaire les besoins terrestres et l'âme a des besoins qui, lorsqu'ils ne sont pas satisfaits, la mettent dans un état analogue à l'état d'un corps affamé et mutilé.

Porte-parole, le poète est porteur d'un souffle venu de la petite source de l'espérance. Sans que cela paraisse, la vertu du langage poétique est de laisser entendre surgir d'une histoire humaine le souffle de fin silence d'une parole qui touche l'âme et le cœur.

Pauvre au monde

Parce que la parole lui est donnée, le dire du poète chrétien (expression non réductrice, au contraire) est une invitation par capillarité à décider de croire au Vivant. Invitation à croire à cette splendeur des êtres et des choses, à la joie, sans ignorer la souffrance et la solitude tragique du Christ à l'heure de sa Passion qui révèle au monde un Dieu pauvre.

La création est à habiter au fil du temps dans une quête d'amour. C'est chacun qui donne sens à l'univers, dans la liberté de l'espace toujours à chercher, là où s'exprime l'engendrement créateur de beauté : « L'art, c'est l'effort pour mettre la matière en état d'extase. C'est cet élan qui fait passer la matière à la vie de l'esprit1. »

Finalement, tout doit être vécu et dit en revendiquant un droit au bonheur, à la grâce rendue du don de la vie, au très bon de la parole initiale. La poésie traverse tout. Elle transcende chaque vision. Son regard aimant découvre ce qui est en genèse dans le monde et en soi. Elle demeure « une petite voie bien droite, bien courte », selon les mots de Thérèse de Lisieux.

 

NOTE :
1 Maurice Zundel, L'humble présence, tome 1, Éditions du Tricorne, 1986, p 58.