La banlieue de Taipei  et sous des bretelles d'autoroute,
rassemblés dans un immense terrain vague, des aborigènes catholiques,
des Amis (prononcer le "s" de la dernière lettre).
Nous sommes le 7 août et on prépare la fête de l'Assomption
qui aura lieu dimanche prochain à Hualian.

Colliers blancs, franges citron et robes rouges,
les Amis défilent en procession pour déposer une rose
aux pieds de la Vierge Marie. Elle se tient hors champ,
sur un socle de bois massif.
Une rangée d'hommes attend, souriant, le front ceint d'un ruban lumineux,
et soudain la scène se dépeuple de tout exotisme,
 ne laissant plus de place qu'à l'immortelle instantanéité de la grâce :
une mère est là, présentant son enfant à la Vierge,
celle qui seule peut engendrer par l'Esprit l'humanité de Dieu
dans la chair d'une femme.

La mère penche légèrement son visage vers son fils, déposant sa propre rose
de la main droite et tenant de l'autre l'épaule de son enfant.
Les menottes jointes, ce dernier serre la rose comme s'il était suspendu à elle ;
elle apparaît comme le prolongement de son propre corps.
Il attend son tour, les yeux levés vers un bois imposant qui l'écraserait
si sa mère n'était pas là pour veiller à le relier à lui.
Elle va lui ficher sa fleur au pieds de Marie :
il esquisse un sourire entre la crainte et l'émerveillement.
La vraie beauté trouble, puis apaise et ravit pour longtemps.

Rien de plus grand que l'hospitalité des îles,
une île qui n'apparaît pas sur la carte des Nations unies,
mais que Dieu n'oublie pas, préférant la sagesse des simples à la fatuité des savants.

Claude Tuduri, sj