La liturgie est en elle-même une pédagogie de la promesse. C'est notamment par sa liturgie, en effet, que l'Eglise éduque les chrétiens, en réponse à la promesse de Dieu, à donner eux aussi leur parole pour engager leur vie. Mais bien au-delà de la simple attitude pédagogique, la liturgie est tout entière l'anamnèse de la promesse réciproque entre Dieu et son peuple, promesse qui a culminé, une fois pour toutes, dans l'Alliance nouvelle et éternelle scellée dans la Pâque du Christ. Et ce sera toujours cette Alliance de communion entre Dieu et les hommes qui donnera contenu et forme, sens et valeur, aux promesses. Ce que la liturgie célèbre est donc le sein matriciel de toutes les promesses possibles.
La richesse et la variété de forme et d'expression de la liturgie sont ainsi faites qu'une analyse comme celle-ci peut partir d'aspects multiples — ce qui nous autorise à choisir deux exemples, parmi d'autres, du rapport entre liturgie et promesse : les « promesses baptismales » (c'est-à-dire le renoncement à Satan et la profession de foi de la liturgie baptismale) et les promesses de la profession monastique. Il faut cependant préciser dès l'abord que le renoncement à Satan et la profession de foi ne sont jamais appelés, dans la liturgie, « promesses baptismales » : cette dénomination appartient plutôt au vocabulaire de la spiritualité — exemple parmi bien d'autres de la projection du langage de la spiritualité sur celui de la liturgie.
La question que l'on posera dans cette brève étude est celle-ci : comment la liturgie baptismale et la liturgie de la profession monastique présentent-elles et donnent-elles à voir les promesses ? Dans le cas des promesses monastiques, la capacité pédagogique de la liturgie ne se configure pas comme un itinéraire, une initiation progressive à la promesse — ce qui est le cas du catéchuménat — mais plutôt comme une célébration de la promesse entre Dieu et un homme ou une femme, où paroles et gestes signifient ce qui advient. Ce qui est dit et fait dans la liturgie baptismale et dans celle de la profession monastique dit et fait la nature des promesses chrétiennes.


Le rite de l'Alliance : célébration de la promesse


Avant d'en venir à la liturgie chrétienne, il nous semble nécessaire de montrer combien, dans le rite de l'Ancienne Alliance où la liturgie chrétienne puise ses racines, le contenu du rite tout entier était déjà l'anamnèse de la promesse réciproque entre Dieu et son peuple. En effet, la Bible décrit l'Alliance comme un échange des promesses entre Dieu et Israël, une promesse de fidélité réciproque. L'ancien rite attesté dans le livre de la Genèse 1, dans lequel on « coupe l'Alliance », révèle que l'acte d'Alliance était compris comme un partage, une participation : en créant les parts, on crée les partenaires, dont la vie était désormais partagée. En d'autres textes, le rite d'Alliance visait à « instituer l'Alliance » 2, pour dire, là aussi, que le rite faisait jaillir l'Alliance comme une nouvelle relation donnant lieu à une existence nouvelle. Si l'Alliance entre Dieu et Israël était stipulée par un rite, l'Alliance ne se terminait cependant point dans la liturgie qui la célébrait, mais, au contraire, par les paroles et les gestes du rite, elle devenait en elle-même commencement et promesse d'une histoire à faire. Le livre de l'Exode (19 à 24) raconte la dynamique d'une Alliance d'abord, promise et ensuite célébrée par un rite. Israël est arrivé au mont Sinaï où l'Alliance sera définitivement scellée, et c'est bien pour cet événement que Dieu appela Israël à être l'unique élu en le faisant sortir d'Egypte. Au Sinaï, Moïse reçoit de Dieu la promesse de l'Alliance :

« Vous avez vu vous-mêmes ce que j'ai fait à l'Egypte, comment je vous ai portés sur des ailes d'aigle et vous ai fait arriver jusqu'à moi. Et maintenant, si vous entendez ma voix et gardez mon Alliance, vous serez ma part personnelle parmi tous les peuples — puisque c'est à moi qu'appartient toute la terre — et vous serez pour moi un royaume de prêtres et une nation sainte » (19,4-6).

Telle est la promesse que Dieu fait à Israël par la bouche de Moïse, promesse à laquelle le peuple répond par une autre promesse : « Tout ce que le Seigneur a dit, nous le mettrons en pratique » (Ex 19,8). L'Alliance procède donc d'une libre promesse de Dieu, une promesse qui ne se fonde pas sur des idées mais sur des faits concrets : c'est bien dans l'histoire que Dieu s'est révélé aux Israélites (« Vous avez vu vous-mêmes ce que j'ai fait », leur dit Dieu) et qu'ils sont devenus témoins de ces événements de salut. Dieu demande à Israël d'écouter sa voix, la Parole, qui, après avoir créé les événements qu'a vus le peuple, proclame à présent l'Alliance. De ce fait, Israël sera toujours le peuple du Shema', le peuple de l'écoute, toujours soumis au commandement : « Ecoute, Israël » (Dt 6,4). Affirmer que l'écoute de la Parole est la seule condition pour maintenir l'Alliance signifie qu'il y a toujours la Parole de Dieu au fondement de l'Alliance, une Parole qui est en même temps événement de salut et promesse d'accomplissement du salut.
Dans le rite décrit au chapitre XXIV de l'Exode, qui scelle définitivement l'Alliance, on trouve tous les éléments qui la composent, au point que s'y reproduit la même dynamique qu'au chapitre XIX : à la promesse de Dieu, le peuple répond par sa propre promesse. L'exégèse a suffisamment montré qu'il faut voir dans ce texte un ancien modèle de la liturgie de renouvellement de l'Alliance. Une liturgie qui comprenait la lecture commentée du document de l'Alliance, la réponse du peuple qui s'engage à exécuter les exigences de l'Alliance en prononçant une promesse, les bénédictions et les malédictions, et enfin un rite sacrificiel qui avait le sens d'un sacrifice de communion.
« Moïse vint raconter au peuple toutes les paroles du Seigneur et toutes les règles » (Ex 24,3) ; en d'autres termes, Moïse redit soit le décalogue (20,1-21), soit toutes les normes (20,22-23) formant le « livre de l'Alliance » qui sera lu ensuite en présence du peuple : « Il prit le livre de l'Alliance et en fit lecture au peuple » (v. 7). Moïse dit et lit donc les paroles de Dieu concernant l'Alliance, et à cet acte de répétition correspond la double promesse du peuple : « Toutes les parolesque le Seigneur a dites, nous les mettrons en pratique » (v. 3) et « Tout ce que le Seigneur a dit, nous le mettrons en pratique, nous l'entendrons » (v. 7). L'engagement du peuple est suivi de la construction d'un autel et de douze stèles de la part de Moïse, qui ordonne ensuite l'offrande d'un sacrifice de communion d'animaux. Avec le sang de ces animaux, Moïse asperge l'autel, qui représente Dieu, et, de ce même sang, il asperge le peuple. Ce geste déclare que, désormais, en échangeant des promesses, Dieu et Israël ont échangé leur sang, leur nephesh, leur principe vital, leur vie, « car la vie de toute chair est son sang » (Lv 17,14). En aspergeant le peuple, Moïse proclame : « Voici le sang de l'Alliance que le Seigneur a conclue avec vous sur la base de toutes ces paroles » (Ex 24,8). Cette proclamation restera l'expression la plus forte du pacte entre Dieu et son peuple, une véritable annonce d'une communion indissoluble.
Ce rite nous semble signifier la « morale » de l'Alliance, qui est avant tout une réponse du peuple à la promesse gratuite de Dieu, une parole qui, du fait d'avoir été prononcée en premier, suscite et fonde la promesse du peuple. Oui, la promesse de fidélité que fait Israël aux paroles de Dieu est une reconnaissance de ce que Dieu a fait en premier. La parole de Dieu demeure donc le fondement de l'Alliance, et c'est bien pour manifester cela qu'un « livre de l'Alliance » a été écrit : Moïse écrit les paroles de Dieu dans un livre pour les inscrire dans la mémoire d'Israël.


Les « promesses baptismales »


L'itinéraire de l'initiation chrétienne avec le triple signe de l'unique sacrement de la foi — c'est-à-dire les sacrements du baptême, de la confirmation et de l'eucharistie — représente le rite de la Nouvelle Alliance scellée par la Pâque du Christ. En effet, dans les rites de l'initiation chrétienne comme dans le rite de l'Alliance décrit dans le livre de L’Exode, c'est la Parole de Dieu qui retentit, l'échange des promesses entre Dieu et le catéchumène, ce sont les gestes sacramentaux qui manifestent et réalisent ce qui est dit et fait.
Dans le rite du baptême, il est un moment, juste avant l'immersion, où le ministre de l'Eglise pose des questions à celui qui doit recevoir le baptême. Des questions que, d'habitude, on appelle « promesses baptismales » — appellation qui, on l'a déjà dit, ne se trouve pas dans le livre liturgique. En réalité, le dialogue, fait de demandes et de réponses entre le ministre et le catéchumène, se compose de deux parties : le renoncement à Satan et la profession de foi comme adhésion au Dieu de Jésus Christ.
Le triple renoncement d'abord :

« Renoncez-vous à Satan ? J'y renonce.
Renoncez-vous à toutes ses oeuvres ? J'y renonce.
Renoncez-vous à toutes ses séductions ? J'y renonce. »

Suit la triple profession de foi :
 

« Croyez-vous en Dieu, Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre ? Je crois.
Croyez-vous en Jésus Christ, son Fils unique, notre Seigneur, qui est né de la Vierge Marie, a souffert la passion, a été enseveli, est ressuscité d'entre les morts, et qui est assis à la droit du Père ? Je crois.
Croyez-vous en l'Esprit Saint, à la sainte Eglise catholique, à la communion des saints, au pardon de péchés, à la résurrection de la chair, et à la vie éternelle ? Je crois. »

Le renoncement à Satan et la profession de foi sont deux gestes rituels qui représentent la même réalité, laquelle nous révèle que le baptême est un acte définitif de renoncement à tout ce qui s'oppose à Dieu et un acte d'adhésion totale au Dieu révélé par le Christ et confessé par l'Eglise. Par le renoncement à Satan et la profession de foi, la liturgie du baptême montre très clairement la foi sous son aspect de conversion et d'adhésion, d'abandon du monde du péché et d'entrée dans la vie nouvelle. Le rite byzantin exprime sans doute avec plus de force que le rite latin la dynamique de l'abandon du mal et de l'adhésion au Christ, et ce en impliquant le catéchumène dans tout son corps.
Dans la liturgie baptismale byzantine, le ministre demande à la personne qui doit être baptisée de se tourner vers l'Occident, sans vêtements, sans chaussures et les bras levés. Se tourner vers l'Occident signifie se tourner vers le lieu où le soleil se couche, le lieu des ténèbres où habite Satan. Dans un acte de suprême liberté, le catéchumène se tourne vers Satan, en lui exprimant presque sa volonté : « Comme s'il était présent, vous avez renoncé à Satan », dit Cyrille de Jérusalem 3. Le geste de tenir les bras levés exprime la liberté qui lui est donnée par la promesse de renoncement à Satan. Jean Chrysostome l'explique ainsi : « Change l'esclavage en liberté (...), arrache l'homme du territoire étranger et mène-le vers sa patrie, la Jérusalem céleste » 4. Dans le sacrement du baptême, la liturgie exerce donc sa pédagogie de la promesse avant tout par le renoncement à Satan, qu'elle fait répéter trois fois pour dire combien cette promesse est pleine, totale, irrévocable. La promesse de renoncer à Satan manifeste que la vie de ceux qui sont morts et ressuscites avec le Christ est une lutte contre leur propre péché pour le vaincre avec la grâce de Dieu : c'est une promesse de lutte. Une lutte qui doit prendre en compte toute la personne dans son corps et son esprit, sans exclusion d'aucune sorte. La personne est donc librement impliquée dans son acte de promesse. C'est avec tout son être qu'elle promet de renoncer à Satan et d'adhérer au Christ, et la liturgie donne à voir cette réalité en marquant du signe de la croix chacune des parties du corps du catéchumène dès le début du catéchuménat : le front, les oreilles, les yeux, les lèvres, le coeur, les épaules.
Telles sont les paroles qui accompagnent le geste d'onction :

« Voici sur votre front la croix du Christ ; il vous marque lui-même du signe de son amour. Apprenez à mieux le connaître, appliquez-vous à le suivre. Portez en votre corps le signe du salut.
Que vos oreilles soient marquées de la croix du Christ, pour que vous écoutiez la voix du Seigneur.
Vos yeux, pour que vous puissiez entrevoir la gloire de Dieu.
Vos lèvres, pour que vous sachiez répondre à Dieu qui vous parle.
Votre coeur, pour que le Christ habite en vous par la foi.
Vos épaules, pour que vous preniez votre croix chaque jour afin de suivre le Christ. »

C'est seulement après le renoncement à Satan que la liturgie baptismale fait exprimer au catéchumène la profession de foi. Une profession qui est un engagement et une promesse de fidélité définitive : ce qui est célébré doit être cru et vécu pour toujours. La formulation trinitaire ne doit pas faire croire pour autant que la profession ne pourrait être qu'une simple adhésion à un contenu de foi, à une doctrine. Non, la profession est en réalité un attachement personnel au Christ. La catéchèse de Paul parle du baptême avant tout comme d'une adhésion au Christ : « Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ » (Ga 3,27). Dans sa troisième catéchèse baptismale, Jean Chrysostome témoigne de la formule utilisé dans la liturgie de Constantinople, par laquelle le catéchumène disait : « Je renonce à toi, Satan... et je m'attache à toi, ô Christ. » Aujourd'hui, la liturgie byzantine prévoit ce dialogue entre le ministre et le catéchumène :

« Te joins-tu au Christ ?
Je me joins à lui
T’es-tu joint au Christ ?
Je me suis joint à lui.
Crois-tu en lui ?
Je crois en lui comme mon Seigneur et mon Dieu. »

Après la profession du Symbole de foi de Nicée-Constantinople, le ministre fait encore par trois fois la demande au catéchumène : « T’es-tu joint au Christ ? » Et, à chaque fois, le catéchumène répond : « Je me suis joint à lui. » De façon extraordinaire, la liturgie baptismale révèle donc que la profession de foi est une promesse ayant la force d'un serment fait une fois pour toutes, d'une décision définitive : la décision et la promesse de se joindre au Christ et de croire en lui. Le verbe grec sous-jacent à l'expression, « se joindre » est « suntaxis » (« attachement », « adhésion »), qui est le contraire exact de celui utilisé pour le renoncement, « apostasis », indiquant la séparation, la rupture, l'abandon.
Le renoncement à Satan et la profession de foi — il est très intéressant de le constater — sont communément appelés, surtout dans le domaine de la spiritualité, « promesses baptismales ». En effet, l'acte de foi est en lui-même accueil du don de la foi et promesse de fidélité à ce don. Oui, le lien qui unit la foi à la promesse d'adhésion fidèle est essentiel. Cependant, on l'a vu, la liturgie ne définit jamais le renoncement à Satan et la profession de foi comme « promesses ». Ce refus fait aussi partie de la pédagogie de la liturgie, parce qu'il dit quelque chose de décisif soit du baptême, soit de la promesse humaine : il s'agit de sauvegarder le sens du baptême comme don absolument gratuit que Dieu fait à l'homme du salut en Jésus Christ. C'est à l'homme d'accueillir ce don, même si l'efficacité du baptême n'est pas liée à la qualité de la promesse humaine et à son accomplissement — l'acte de Dieu (le don du salut par le sacrement du baptême) n'étant pas de même nature que l'acte humain.


Le paradoxe de la promesse monastique


La liturgie des promesses monastiques ou religieuses, comme celle des promesses baptismales, des promesses matrimoniales ou des promesses sacerdotales, en tant qu'échange de promesses, est une liturgie d'accouchement d'une histoire qui va commencer. Par le fait même, la liturgie chrétienne participe aux prérogatives des rites d'Alliance célébrés par Israël. Dans toutes les liturgies de promesses, il y a des paroles mises dans la bouche de celui qui promet, synthétisant le contenu et le sens de ce qui advient. Celui qui reçoit le baptême prononce sa profession de foi et celui qui est ordonné au ministère presbytéral répond d'abord : « Me voici » à l'appel de l'Eglise et peut ensuite, dans un « oui » intense, accepter le devoir de son engagement. Dans le rite du mariage, ce sont les époux qui se promettent l'un à l'autre la fidélité.
Aujourd'hui encore, après bien des siècles, la liturgie des promesses monastiques garde très jalousement au coeur du rite une invocation que saint Benoît dans sa Règle, met sur la bouche de celui qui s'engage dans cette voie. Cette invocation semble contenir en elle-même et synthétiser avec force le sens de la promesse monastique :

« Suscipe me, Domine, secundum eloquium tuum et vivam,
et non confiidas me ab exspectatione mea. »

Cette invocation est tirée du psaume 118 (v. 116) dans la version latine de la Vulgate utilisée dans la Règle de Benoît. Pour être plus fidèle au texte hébreu, on peut traduire ainsi : « Soutiens-moi, Seigneur, selon ta promesse et je vivrai, ne me déçois pas dans mon attente. »
    • Il faut d'abord observer que l'expression latine « Suscipe me » (par laquelle ont été traduits les mots grecs « antilabou mou » employés par la Septante) exprime avec justesse le sens du mot hébreu sous-jacent. En effet, dans son sens étymologique, « sub-capere », dont dépend le verbe suscipere, signifie « prendre en dessous », ce qui ne renvoie pas tant à l'image d'une main qui prend quelqu'un pour le relever qu'à celle d'une main qui soutient, porte. Ce serait donc appauvrir l'invocation que de réduire « Suscipe me... » à une simple demande d'aide, ou plutôt à une requête générale d'accueil ou d'acceptation. Non, le sens spirituel de cette prière semble être au contraire une demande de fidélité à la promesse que fait à Dieu celui qui s'engage dans la vie monastique.
    • « Secundum eloquium tuum et vivam » (« selon ta promesse et je vivrai »). Avec le psalmiste, le moine ne semble pas présenter à Dieu sa promesse, ni invoquer sa propre volonté, mais il demande d'abord à Dieu d'être, lui aussi, fidèle à sa promesse De ce fait, il déclare que le fondement de la promesse monastique, c'est-à-dire ce sur quoi elle tient, repose uniquement sur la promesse de Dieu. C'est en ces termes qu'est ici évoquée la dynamique de la vocation : toutes les promesses pour la vie, qui sont toujours des dons de la vie, ne sont possibles que parce que Dieu a fait don le premier de sa promesse qui n'est autre que le don de lui-même, le don de sa vie. Dès lors, le véritable protagoniste de la liturgie de la promesse monastique n'est pas le moine, mais le Seigneur qui l'a soutenu jusqu'alors.
Un rappel radical du primat de la promesse de Dieu : telle est la praxis de la tradition monastique égyptienne qui, depuis ses origines, veut que ce soit l'higoumène qui, pendant une liturgie quotidienne et sans aucun préavis, appelle le moine à la profession, pour manifester que ce n'est pas au moine de décider de sa vie, mais qu'il doit simplement répondre à l'appel qu'il reçoit. La tradition monastique copte exprime par ce biais la même compréhension du paradoxe de la promesse que la liturgie latine en faisant prier le « Suscipe » : celui qui s'engage pour toujours dans la vie monastique ne peut compter ni sur lui-même ni sur la simple aide humaine de ses frères ou de ses soeurs.
Avec son langage et ses modes d'expression propres, la liturgie semble en effet relativiser, au coeur même des promesses monastiques, la volonté humaine, charnelle, tant de la part de celui qui est appelé que de celle de la communauté. On ne doit pas, selon la liturgie, se fier à la certitude du moine ni à celle de la communauté, car cela pourrait porter à ne vouloir disposer qu'humainement du futur, dans l'état de fragilité, de contradiction, de misère, qui caractérise la volonté humaine.
    • « Et non confudas me ab exspectatione mea » (« et ne me déçois pas dans mon attente »). En reprenant les paroles du psalmiste, le moine qui fait sa promesse demande à Dieu de ne pas le décevoir dans son attente. A croire que celui qui promet est toujours l'objet d'une attente De la part de celui qui fait un choix de vie, tout le monde semble en effet être en droit d'attendre quelque chose : Dieu en premier, mais aussi sa communauté et l'Eglise tout entière, qui, à partir de la profession, peut désormais compter sur le témoignage d'un moine, au point que si quelqu'un ne doit pas décevoir, c'est bien lui.
Mais dans le « Suscipe », une fois encore, le rapport s'inverse : c'est Dieu qui, aux yeux du moine, ne doit pas décevoir son attente, ni manquer à sa promesse Ainsi le « Suscipe » se termine-t-il par une ouverture, une « exspectatio », une « attente » de la part du moine. Il y a une espérance qui ne doit pas être déçue, et cette espérance est la vie elle-même : « et vivam » (« et je vivrai »). Une vie qui est partage de la vie même de Dieu, une communion de vie Le rite, selon la volonté de saint Benoît, prévoit que toute la communauté répond en chantant trois fois cette invocation, pour manifester qu'elle fait sien cet engagement, que celui qui le fait n'est pas tout seul, mais que sa promesse s'unit aux promesses de chaque membre de la communauté : cette nouvelle promesse, et toutes les promesses de ceux qui l'ont précédée, ne font désormais qu'une seule et unique promesse.

* * *

Le rite de l'Alliance entre Dieu et Israël et l'échange réciproque des promesses, la liturgie du baptême avec le renoncement à Satan et la profession de foi, ainsi que la liturgie de la profession monastique, révèlent que la promesse de Dieu précède et fonde toute promesse de l'homme La liturgie exerce sa pédagogie de la promesse en montrant cette vérité : il n'y a de promesse humaine que comme accueil du don de Dieu. Un don qui est à l'origine de la promesse de l'homme et qui, en tant qu'origine permanente, la maintient en vie, la fait subsister. Si les textes de la liturgie baptismale ne définissent pas l'adhésion de l'homme au don de Dieu en terme de promesse, c'est pour affirmer que le salut n'est pas d'abord le résultat de la fidélité de l'homme à Dieu mais de l'absolue et unilatérale volonté de Dieu que tous les hommes soient sauvés. Le don du salut reste un don, même quand l'homme n'est pas fidèle à sa promesse.
Le déroulement du rite de la profession prévoit que le moine fasse des promesses explicites devant Dieu et ses frères, mais, en même temps, et sans contredire les promesses qu'elle fait prononcer, la liturgie exprime par le « Suscipe » l'essence de la vie monastique, où rien n'est humainement garanti. Il y a bien un échange des promesses, mais la promesse qui compte, celle qui est la condition de possibilité de toute promesse, c'est la promesse de Dieu. On pourrait aussi dire que, par le « Suscipe », la liturgie affirme elle-même que ses rites ne sont en rien une garantie s'ils ne sont que de simples actes humains. Cela aussi fait partie de sa pédagogie de la promesse

1. Gn 15,18,21,32,26,28.
2. Gn 6,18 , 9,9 ; 11,7 ; Ex 6,4 ; Lv 26,9
3. Catéchèse mystagogique 1,2.
4. lnstructions baptismales 10,14.