Se présente ici comme un plaidoyer pour la lecture spirituelle, qui ne cherche pas à convaincre, mais à mettre en appétit. A montrer qu'à force de faire de la lecture un exercice spirituel on apprend à écouter Dieu et à méditer sa Parole. On entre ainsi tout à la fois dans la mémoire d'une grande nuée de témoins qui nous précède et nous entoure, et dans une aventure intérieure qui fait découvrir sa propre vie comme une histoire sainte : la suite de l'Ecriture.
Un peuple sans passé, un chrétien sans mémoire, n'aurait rien à dire. Car, en effet, « comment pourrait-on bien parler de l'amour si l'on T'oubliait, ô Dieu d'amour, d'où provient tout amour dans les deux et sur la terre ! » (Kierkegaard). Ce qui menace de sécheresse et de froideur, c'est l'oubli. Dieu, lui, n'oublie pas : « Je t'ai gravé sur les paumes de mes mains... » Mais le monde, le monde de nos soucis et de nos agitations, est une énorme machine à oublier.
« Souviens-toi, Israël ! » Pour se rappeler, Israël a inventé le Livre saint ; et nous, chrétiens, nous avons la lectio divina, jaillie elle aussi de la nécessité de faire mémoire. Nécessité pour la communauté rassemblée de célébrer la Parole, et pour chacun de réserver ce temps sacré quotidien de l'hospitalité divine : la « minute radio » où l'on se tait, où l'on incline l'oreille de son coeur, pour laisser à Dieu la chance de mobiliser notre attention.
Bien des chrétiens redécouvrent cette lecture savoureuse, qui, sans renoncer aux acquis de l'exégèse, accueille la Parole, la goûte et s'en nourrit secrètement. Lecture de l'Ecriture en tout premier lieu, comme le Concile l'a voulu en restaurant la liturgie. Lecture aussi des Pères et des maîtres spirituels de la tradition chrétienne, que les éditeurs ont remis à notre portée — comme en témoignent les tables des « Lectures spirituelles pour notre temps » recensées dans Christus, tables jointes à ce numéro comme une balise pour s'orienter dans cet océan. Lecture en Eglise, en communauté de partage, en privé : la richesse et la diversité sont là, à notre portée, pour autant que nous en ayons le goût et la décision.
Car la lecture authentique, qui se distingue de la lecture curieuse, suppose une véritable discipline, celle du moment et du lieu, de la régularité et de l'esprit de prière qui l'accompagne. Elle doit être vécue comme un sacrement : « Pas de lectio divina, disent les moines, sans épidèse », sans une invocation à l'Esprit Saint qui en est le véritable exégète. Effort et discipline, certes, mais qui ouvrent alors le livre : une page, une phrase, un simple mot, quand ils sont reçus, portés par ce souffle d'en haut, nourrissent bien plus que d'en savoir beaucoup.