Dans les « annotations » des Exercices spirituels (ES), saint Ignace décrit longuement le rôle du directeur. Il le montre instruisant le retraitant (ES 1), observant si son âme est mue par la désolation ou la consolation (ES 6), l'encourageant dans la tentation, lui dévoilant les ruses du démon (ES 7), lui apprenant à discerner l'action des esprits et proportionnant ce qu'il lui en dit à son degré d'avancement (ES 6 et 8-10), stimulant sa générosité (ES 12), mais le mettant en garde contre des décisions inconsidérées (ES 14), s'informant de son âme (ES 17), s'adaptant à ses capacités (ES 18), respectant par-dessus tout l'action de Dieu dont il est le témoin et auquel il ne doit pas substituer ses interventions propres (ES 15).
Tout cela constitue une véritable somme de direction spirituelle. Certes, le point d'application en est proprement la direction donnée à un retraitant qui fait les Exercices. Mais les principes qui sont engagés ont une valeur générale. On sait d'ailleurs l'importance accordée par saint Ignace au ministère de la direction. Or, en en faisant un ministère éminent, puisqu'il a pour objet d'aider tout chrétien à devenir un saint, saint Ignace est l'héritier d'une tradition qui remonte aux origines mêmes du christianisme (déjà saint Paul compte « le discernement des esprits » parmi les principaux charismes), mais qui s'est surtout constituée au IVe siècle, dans le cadre du mouvement monastique. C'est à ce moment qu'apparaît l'« abbé », c'est-à-dire le « père » spirituel autour duquel des disciples viennent se grouper.
Je voudrais montrer comment la plupart des points traités par saint Ignace sont l'écho de cette sagesse séculaire, à la fois traditionnelle et expérimentale, dont témoignaient les anciens Pères.
La première question qui se pose est celle de la nécessité du directeur spirituel. L'exposé sans doute le plus détaillé que nous ayons de la question dans l'Antiquité se trouve dans le dernier chapitre du traité Sur la virginité de saint Grégoire de Nysse, qui peut être daté avec certitude de l'année 371, puisqu'il est postérieur à l'élévation à l'épiscopat de saint Basile (370) et antérieur à celle de Grégoire (372). Le monachisme basilien est encore à cette époque en plein développement. C'est plutôt, comme l'a montré Dom Jean Gribomont, un appel adressé à tous les chrétiens à une vie plus conforme à l'Évangile que la constitution d'un type de vie particulier dans l'Église1. Être chrétien au sens plein du mot, c'est tendre à développer pleinement en soi la vie spirituelle donnée au baptême. En ce sens, les frontières de l'idéal monastique et de la simple vie chrétienne sont beaucoup moins déterminées qu'elles ne le seront plus tard. La virginité apparaît comme la forme éminente de cet idéal chrétien,