Ce livre aurait pu n’être qu’une diatribe de plus contre les addictions contemporaines aux smartphones, portables et autres tablettes. Heureusement, il n’en est rien : le propos est infiniment plus subtil, même si le titre se veut provocant. À partir d’exemples très concrets (groupes de partage, phénomène du like, généralisation du tutoiement…), il sonde ce mouvement quasi irrépressible qui pousse toute une société vers le partage – ou pour mieux dire la partagitude –, culminant dans la diffusion immédiate et la plus large possible de tout ce que chacun a vu, entendu, ressenti. Vite fait, bien fait, puisqu’un clic suffit. L’auteur observe ces pratiques non seulement à distance critique, comme le ferait un sociologue, mais à partir de sa propre expérience, cœur divisé entre réflexes acquis, résistance et insatisfaction. Le style vif, plein d’humour, très agréable à lire, vraiment beau par moments et la composition de l’ouvrage en font une chambre de résonances où la philosophie trouve son compte autant que la spiritualité et la poésie. Ce qui fait la singularité de ce texte, c’est de n’être jamais manichéen et de déceler, jusque dans ses caricatures les plus grotesques, les traces du grand désir, fourvoyé certes et souvent abusé, mais bien là : ce désir qui cherche comment et pour qui exister, comment être reconnu, aimer et être aimé, ce désir malmené qu’un Autre transforme, ouvre, libère, nous donnant à nous-mêmes en nous donnant le monde. Quelle source inépuisable de reconnaissance ! À quelle condition ? À condition de discerner ce que l’on entend et vit, de ne plus avoir peur, de ne pas confondre solitude et repli, silence et abandon, à condition de savoir se tenir en attente, disponible… Voici un livre à lire et à relire plusieurs fois, pour l’écho donné au temps, à l’immuable, à la nature, à ce qui nous tient au monde, à ce qui unit et sépare, conforte ou déçoit. Par touches discrètes, il parle de notre incarnation, de Dieu, « maître du don », de ce que l’on garde pour soi et repasse en son cœur. Il creuse la soif, et soutient un mouvement intérieur original, susceptible de résister sans raideur à l’air du temps.
 
 
Françoise Le Corre