La collaboration entre jésuites et laïcs est, aujourd'hui pour la Compagnie, une réalité vivante et complexe. On aurait peine pourtant à trouver, de manière directe, un modèle dans les écrits d'Ignace, tant la réalité sociale, politique et religieuse de notre temps est différente. Pour autant, à considérer comment Ignace concevait l'action des jésuites et leurs relations avec la société, se dessine nettement une manière de faire : elle exige la conversion des jésuites dans leur rapport au pouvoir – et donc la reconnaissance des formes du pouvoir religieux – et le partage, selon des intérêts distincts des partenaires, d'un projet commun où tous sont invités à reconnaître l'action de Dieu.
Nous vivons dans une société démocratique qui pose pour principe l'égalité des citoyens devant la loi, même si ce principe connaît dans la réalité des entorses et des violations. En outre, la séparation des pouvoirs est fondatrice. Il en allait tout autrement au temps d'Ignace, à l'aube de transformations politiques d'envergure. À la Renaissance, le principe d'égalité n'existait ni en fait, ni en droit. La société était divisée en ordres (noblesse, clergé et troisième ordre sans nom : le tiers état, comme on l'appellera). Les pouvoirs n'étaient pas séparés. La société s'organisait en héritant du modèle féodal fait d'alliances et d'allégeances (alliances entre des parties de rang égal et allégeances de vassal à suzerain qui accordait justice et protection à ceux qui lui étaient soumis). Le pouvoir s'exerçait depuis les cours seigneuriales, princières et royales. Dans ce type de société, un personnage puissant accordait non pas des droits mais des faveurs et des privilèges à ceux qui le servaient. Il partageait ainsi, par son bon vouloir, une partie de son pouvoir, en accordant des « facultés ». L'Église relevait largement de ce modèle : les évêques occupaient une place de seigneurs, selon ce modèle féodal et courtisan. La curie romaine du pape s'organisait ainsi, notamment au temps d'Ignace. Celui auquel le souverain demandait un service était honoré de sa faveur car il lui déléguait ainsi une part de son pouvoir et de son