Parution initiale dans Christus n° 74 (avril 1972).

Nous n'arrivons plus aisément à circonscrire, ni identifier notre péché. Les francs coupables se font rares et nous rencontrons bien plus souvent autour de nous, voire en nous-mêmes, des accusés éventuels qui tissent préventivement un réseau impénétrable d'excuses. Le silence s'étend sur le fait du péché et il manque pour le rompre une parole véritable, la parole de l'aveu, tandis que ce silence est meublé et caché par le bruit des accusations et auto-accusations, aboutissant les unes et les autres à la recherche de l'excuse.

Ce traitement que notre culture impartit au péché ne nous étonnera que si nous sommes assez naïfs pour méconnaître un des traits constitutifs de l'acte coupable, à savoir la tendance à sa propre dissimulation. Il fait souvent partie du péché de passer comme inaperçu à la conscience. Le péché entraîne une autojustification, au sens théologique comme au sens psychologique du terme : tentative de suffisance sans le secours de Dieu et tentative de prouver le bien-fondé de notre conduite.

Aussi longtemps qu'un homme est enfermé dans un péché, il ne peut être vraiment au clair sur sa propre défaillance, puisqu'il n'attend pas un avenir différent de ce qu'il vit. Mais s'il accepte vraiment l'éventualité d'un changement, il se rend, par le fait même, capable de juger de sa situation avec la lucidité due au recul nécessaire. Il n'y a de connaissance possible de notre péché que par la décision de conversion qui nous en détourne.

Dans le champ du langage, la conversion s'exprime par l'aveu, cet acte de parole où nous reconnaissons notre péché. La connaissance du péché suppose sa reconnaissance. Nous ne connaissons en vérité notre péché que dans l'acte de langage, l'aveu, grâce auquel nous nous reconnaissons pécheurs existentiellement. Nous ne pourrons rien dire de notre péché et nous n'en saurons même rien tant que nous ne nous serons pas risqués à dire notre péché dans cette parole qui mène à son achèvement notre démarche de conversion.

Voici donc notre argument : le péché, tant qu'il exerce une influence dominante, fait obstacle à la lumière et se dissimule, empêche sa reconnaissance et oppose de profondes résistances à l'aveu. L'avènement de l'aveu marque, au contraire, le déclin du règne du péché et en annonce la disparition. Autodissimulation de la faute et reconquête de la lucidité par l'aveu, tels seront nos deux thèmes conducteurs1. Il nous paraît toutefois nécessaire de situer et distinguer au préalable la culpabilité et le péché.

Sentiment subjectif, la culpabilité est la souffrance que nous ressentons par crainte d'avoir nui à nos objets d'amour. Elle est