Un des articles anciens de la Loi d'Israël formule : « Tu n'opprimeras pas l'étranger. Vous savez ce qu'éprouve l'étranger car, vous-même, avez été étrangers au pays d'Égypte » (Ex 23, 9). Logique beaucoup moins naturelle qu'elle n'y paraît. Le réflexe spontané d'un peuple qui a connu l'oppression est bien souvent de s'en venger sur les victimes à sa portée. Faut-il attribuer à la prédication des prophètes et à leur expérience de Dieu cette sensibilité à la condition difficile de l'étranger ?

Un peuple d'étrangers

Sans pouvoir énoncer de certitude précise, on doit au moins observer que la condition d'étranger remonte aux expériences fondamentales de ce peuple. Lorsque Dieu dit à Abraham : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t'indiquerai » (Gn 12,1), il fait de lui un expatrié, sans même lui laisser entrevoir une terre où se fixer. Il est vrai qu'Abraham appartient sans doute à l'une de ces tribus nomades qui mènent leurs troupeaux le long des marges plus ou moins flottantes qui séparent des régions arrosées et cultivées les zones désertiques de Syrie et d'Arabie. Abraham n'a pas à changer d'existence. Reste qu'il doit quitter une région où il a ses attaches et ses habitudes, et les récits de la Genèse connaissent plus d'un épisode où les patriarches font figure d'étrangers, obligés de s'en remettre à la bonne volonté des populations installées et de leurs chefs.

Épisode typique : la négociation délicate que dut mener Abraham avec Ephrôn le Hittite pour obtenir à Hébron un terrain pour y ensevelir le corps de Sara : « Je suis chez vous un étranger en résidence. Accordez-moi chez vous une possession funéraire » (Gn 23,4). Pour quatre cents sicles d'argent – Jésus sera vendu trente sicles – les descendants d'Abraham auront sur cette terre un coin à eux. Gage déjà d'une prise de possession mais, avant de pouvoir s'y installer, les patriarches et leurs descendants devront plus d'une fois quitter leurs pâturages habituels, désolés par la famine, et gagner l'Égypte, terre riche, état puissant et civilisation brillante, où jamais les Hébreux ne se sentiront chez eux. Dieu l'avait annoncé à Abraham : « Sache bien que tes descendants seront des étrangers dans un pays qui ne sera pas le leur. Ils y seront esclaves, on les opprimera pendant