Préface d'Emmanuel Durand, Éditions du Carmel, « Recherches carmélitaines », 2020, 192 p., 18 €.

Depuis quelques années, le mot « empathie » fait florès dans les médias et rien n'apparaît plus critiquable pour un responsable politique que de ne pas exprimer publiquement cette attitude lorsque survient un drame. Mais que se cache-t-il vraiment sous ce terme, proche de celui de « sympathie », ou de cette « compassion » que valorise une spiritualité orientale comme le bouddhisme ? Deux ouvrages très différents donnent une idée de cet intérêt et tentent de mieux la définir, jusqu'à essayer d'en trouver des traductions concrètes.

À travers une approche brève mais dense, le père Maximilien-Marie Barrié, carme déchaux et maître des novices, se propose de fonder au plan philosophique, théologique et même scientifique ce qu'il appelle l'empathie à l'école du Christ. Se référant à la pensée phénoménologique d'Édith Stein, il définit cette notion sous trois aspects : « Il s'agit d'un acte de connaissance qui permet en premier lieu de constater la présence de vie dans un corps étranger. En deuxième lieu, grâce à l'empathie, le sujet peut percevoir de l'intérieur ce que vit la personne observée sans pour autant se confondre avec elle. Enfin, il peut entrevoir les actes et les sentiments qui l'animent et sentir l'épaisseur de son existence jusqu'à son noyau le plus profond. » D'où l'importance ici du regard, plus que de l'ouïe, dans ce phénomène empathique corroboré en neurosciences par le « système miroir ». Très largement inspiré par la communication non violente (CNV) théorisée par Marshall Rosenberg, le jésuite Michel Bacq, longtemps proche de l'Arche et membre d'un groupe qui pratique des « Exercices spirituels de discernement apostolique en commun », propose quant à lui une définition plus simple sous un titre très (trop ?), affirmatif : L'empathie fait des miracles. Pour ce religieux, « l'empathie est une qualité de présence à autrui et d'écoute de ses besoins et de son ressenti, en particulier sa souffrance ». À partir d'exemples tirés de la vie de couple, notamment, il en souligne la dimension spirituelle, l'énergie qu'elle permet de communiquer, les processus auxquels elle obéit par son attention aux besoins humains fondamentaux.

Chacun à leur manière, les deux ouvrages reviennent aussi aux textes évangéliques pour asseoir leur démarche. Bien sûr, à propos d'un tel sujet, on pense spontanément à l'épisode des disciples d'Emmaüs, avance d'emblée le père Barrié, qui ne relève pas moins d'une soixantaine de péricopes qui relatent des actes d'empathie de Jésus. L'auteur choisit de se focaliser sur l'épisode de la guérison du paralytique dans les synoptiques, où le Christ ne se livre pas « à des actes de sympathie ou de contagions de sentiments », mais regarde en profondeur la foi des porteurs du malade et l'état d'esprit des scribes qui voient dans la guérison un blasphème. Il prolonge son analyse par des considérations plus dogmatiques, nourries de saint Thomas d'Aquin, soulignant que s'il s'agit là « d'actes posés par l'unique personne divine du Christ, ils peuvent être attribués principalement à sa nature humaine et à l'opération qui en découle ». De son côté, le père Bacq évoque les scènes de réconciliation, comme avec la Samaritaine ou dans la parabole du Fils prodigue, et revient sur l'épisode de la Pentecôte dans les Actes des Apôtres à travers une lecture enthousiaste très marquée par le Renouveau charismatique. L'empathie n'est-elle pas, à sa manière, une manifestation des dons de l'Esprit, de foi, de guérison, d'amour et de pardon, dont nous avons tant besoin ?

Largement proposée à tout chrétien, la démarche d'empathie doit donc inviter chacun de nous à développer le sens de la réciprocité, de l'amitié, de la nomination de Dieu quand c'est nécessaire, poursuit le père Bacq, pour mieux s'entraîner à réveiller cette force d'amour présente en nous. Face à ce propos très imprégné, on l'a dit, par les théories de Marshall Rosenberg, le lecteur a parfois le sentiment de se trouver face à un livre de recettes, comme si le « miracle » était souvent à portée de la main. On lira en revanche avec plus de profit le développement consacré en finale par le père Barrié à la place nécessaire de « l'empathie informée par la grâce » dans l'accompagnement personnel, manifestée par l'écoute spirituelle et l'écoute de la prière. Il s'agit de vivre dans ce cadre un cheminement vers Dieu en liberté, sans confusion entre le vécu de l'accompagnant et celui de l'accompagnateur.