La Bible, c’est aussi l’histoire d’une longue écoute de la parole de Dieu, portée depuis les commencements par des hommes appartenant à un peuple, lui-même façonné par une écoute commune. Se mettre à l’écoute, c’est l’expérience du vieil Élie à l’Horeb. À bout de souffle, il entend une « voix de fin silence » (I Rois 19,12), une présence qui l’attendait et se manifeste à lui, nouvelle. Élie, qui est le fils d’une longue lignée de prophètes, revient à ce lieu d’origine de son peuple. Là, il est appelé à entrer plus profondément dans sa mission et à reconnaître que Dieu agit de lui-même dans le cœur des autres, et à passer le relais à Élisée. Se mettre à l’écoute, c’est également l’expérience que fait l’enfant Samuel quand, guidé par Éli, le vieux prêtre du Temple, il entre véritablement au service de son Dieu en prononçant ces paroles?: « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute… » (I Samuel 3,10). L’écoute enfin, c’est l’expérience de la jeune fille Marie dans sa maison de Nazareth à la venue de l’Ange, de la mère de Jésus lorsque, à la Croix, elle reçoit la déréliction de son fils et de la femme mûre au Cénacle, disciple parmi les premiers disciples qui accueillent l’Esprit. L’écoute se manifeste à la fois comme expérience singulière mais aussi comme expérience collective, donnée à tous.

Sur le plan humain, pouvoir écouter demande d’avoir soi-même été écouté. Chacun de nous, en sa mémoire, a engrammé l’expérience d’avoir été entendu, d’avoir été écouté, compris. Sinon, nos balbutiements n’auraient pu devenir des paroles. Nous n’aurions pu nous inscrire au sein de la communauté des parlants. L’expérience d’avoir été écouté est, certes, parfois très limitée, voire blessée, mais elle demeure une expérience véritable, vécue. Être écouté, c’est être reconnu pour ce que je suis, à la fois dans mes forces et mes faiblesses, mes efforts et mes facilités, mes besoins et mes désirs, mes blessures et mes dons. À la clé de cette écoute réactive, qui me donne d’être reconnu alors que je commence à parler, surgit une perspective renouvelée pour mon devenir. Après que j’ai été écouté, entendu dans mon silence intérieur, sourd en moi une capacité plus intérieure encore à écouter et à entendre, pour moi et pour l’autre. C’est le fruit du travail si important que ne cessent d’offrir le parent, le conjoint, l’ami, le professeur, l’éducateur. Ce geste qui ne cesse de se transmettre et de se recevoir en notre humanité peut aussi aller jusqu’à la pure gratuité. L’écoute est aussi étendue à celui qui ne peut plus parler, à celui qui va mourir. Ainsi, fondement de notre humanité, l’écoute s’offre jusqu’à l’extrême.

L’écoute est ce qui permet à l’autre d’exister, elle est partie intégrante de l’acte créateur. Le geste créateur du Père, porté par sa Parole, se poursuit dans un silence. Il nous est donné dans la foi de découvrir que ce silence divin est habité par son écoute, son attente, sa patience, son espérance. Cette écoute silencieuse de Dieu est ce qui nous donne d’advenir. Et ce geste, le Père le remet à son Fils et, à travers lui, aux enfants d’adoption que nous sommes. Ainsi, sommes-nous nous aussi appelés à entrer dans le silence de l’écoute et à renoncer dans une certaine mesure à agir, à dire, à faire afin que l’autre attendu advienne par lui-même mais porté malgré tout par notre présence à ses côtés. Écouter, c’est ainsi devenir soi-même cocréateur?! Renoncer au pouvoir sur l’autre mais être là pour accompagner le travail de l’Esprit qui se produit en lui. Savoir que notre présence, si modeste et silencieuse soit-elle, autorise sa naissance?; qu’elle nous demande pour cela d’accepter d’être abandonné et oublié, bien que soyons appelés à demeurer toujours fidèle à l’écoute. Cette écoute silencieuse peut au terme laisser naître une parole en retour, une parole d’émerveillement, d’attestation, de consolation, de confirmation, de bénédiction, telle la parole d’Élisabeth à l’accueil de la jeune Marie enceinte.

Cette troisième édition de notre hors-série sur l’écoute reprend presque tous les articles des deux précédentes et s’enrichit de quatre articles inédits. Le premier qui concerne l’écoute en commun et tout spécialement au sein de l’Église, appelle celle-ci à être plus écoutante pour rester discernante (Nicholas Austin). Cela requiert d’elle qu’elle se mette également à l’écoute du monde dans une attitude enseignée par Marie, mère de Jésus (Raphaël Buyse). Il nous est aussi proposé de prendre la mesure de la nouvelle complémentarité entre écoute spirituelle et écoute psychologique (Jean-Guilhem Xerri). Et, pour finir, un de ces articles inédits nous rappelle que, pour chacun, une possibilité de vie pour aujourd’hui se loge dans une écoute renouvelée de la Parole (Myriam Tonus).

Dans cette réédition, nous proposons une nouvelle organisation du sommaire afin de proposer au lecteur de faire de sa lecture du numéro une expérience d’écoute. Ainsi, cheminant dans ce hors-série sur l’écoute remodelé pour lui, il pourra entrer dans un itinéraire en quatre étapes et prendre, à la lumière de sa lecture, la mesure de sa propre écoute.

Aussi, dans ce numéro, nous vous proposons d’entrer par des récits d’écoute. L’écoute est difficile mais chacun peut trouver son propre chemin suscité par sa situation, ainsi celle de la grand-mère, celle du soignant, celle de l’aveugle, celle de l’accompagnateur voire celle, comique et humble, de l’interviewer.

À vous aussi de vous raconter votre propre histoire de l’écoute, les moments marquants où vous avez été écouté, où vous avez aussi écouté l’autre…

 

Pour se mettre à l’écoute, il faut considérer la matrice de l’écoute, première et essentielle, qui est la parole de Dieu. Comme les saumons qui remontent les rivières de leur naissance pour aller frayer au plus près des cimes, nous avons à aller dans la partie la plus secrète, la plus intime de notre être, là où le Seigneur s’adresse à nous.

À vous de faire mémoire de votre manière de vous disposer à l’écoute de la parole de Dieu, de vous souvenir de ce qu’elle vous a enseigné, de ce qui demeure un espace sacré pour vous, un lieu de ressourcement toujours disponible.

 

Ensuite, cette matrice féconde l’écoute de l’autre. Nous sommes introduits à plusieurs « gestes » d’écoute, car bien des approches coexistent, honorant ainsi la complexité de notre humanité. Nous pouvons en mesurer la technicité et le devenir, dans la durée du temps personnel ou du temps social.

À vous de nommer les enjeux de votre propre écoute, d’éclairer vos manques et vos attitudes, de repérer ce qui pourrait être pratiqué par vous, ce qui demanderait à être approfondi…

 

Alors, au-delà de ces cheminements préparatoires, peut apparaître ce que porte l’écoute comme promesse, le surgissement d’une liberté, d’une parole et, significatif pour notre temps, le surgissement d’un collectif constitué grâce à l’écoute communautaire, aussi bien au sein de l’Église qui écoute que pour la société civile.

À vous de vous risquer à dire de quelle promesse est riche votre écoute, pour vous, pour vos communautés d’appartenance et même pour le corps de l’humanité…