Desclée de Brouwer, 2010, 200 p., 19 euros.

« J’aime écouter les autres parler d’eux. Je n’aime pas parler de moi. Seul compte, me semble-t-il, ce retourne-ment du coeur qui rend possible l’avenir. » Ces premières lignes de L’autre soleil en disent le projet : faire le récit de l’histoire de l’Esprit dans la vie d’un des grands convertis du XXe siècle. Une « autobiographie spirituelle » donc, loin de tout égotisme, disant dans la chair même de son histoire personnelle les voies d’une possible histoire spirituelle du XXe siècle. Lors de la première sortie de ce livre (1975), le théologien s’expliquait : « J’ai écrit L’autre soleil, après un accident de santé, à 52 ans. C’est l’âge d’un autre départ, d’un autre commen-cement. J’ai retrouvé mon enfance, en écrivant ce livre, comme un poème. Elle a été bien perdue. Devenir adulte c’est adultérer l’enfant que l’on a été. Alors que j’ai toujours pensé que le jugement de Dieu était un regard d’enfant sur ma vie. » Un regard d’enfant qui prend la forme d’un chant théologien, car l’écriture est précise et belle.
Né dans une famille de maîtres d’école et de paysans socialistes depuis deux générations, Olivier Clément (1921-2009) n’a pas reçu d’éducation religieuse. Adolescent, il chemine, épuisant d’abord l’athéisme avant d’explorer les cosmologies anciennes et orientales. Durant la guerre, l’historien Alphonse Dupront l’initie à la dimension spirituelle de l’homme et le fait entrer en résistance. Là, il lit Vladimir Lossky et Nicolas Berdiaev, puis, après la guerre, est baptisé au sein de l’Église orthodoxe qui lui a « fait comprendre que le christianisme n’est pas une idéologie, mais la résurrection ». En se convertissant à l’orthodoxie par la médiation de penseurs russes, ce Languedocien ne s’exile pas pour autant. Au contraire, il se réconcilie avec son enfance : « J’étais un païen méditerranéen. Respirer, manger, marcher, dans chaque expérience s’éveille le feu. Polythéiste ? Les choses sont, tout simplement. (...) Je suis resté très païen, car l’orthodoxie n’est pas un christianisme puritain, mais un christianisme de la transfiguration. » Réconciliation avec la racine même de l’engagement socialiste de ses aïeux.
Il faut saluer la réédition de ce livre, complétée d’hommages d’Andrea Riccardi, Boris Bobrinskoy et Dominique Ponnau, et surtout de quelques notes écrites par Olivier Clément les dernières années de sa vie, dressant un état des lieux de ce que cette vie lui a appris : « Aimer le visage du Christ que l’autre pressent et célèbre. »