Il a fallu que les missionnaires entrés en Chine apprennent des lettrés l'art chinois de la conversation pour que puisse s'instaurer entre eux un dialogue fécond. Tant le choix des sujets sur lesquels échanger que le style même de la conversation renvoyaient à deux traditions qui n'étaient pas immédiatement conciliables.
Matteo Ricci (1552-1610) et ses successeurs ont appris à converser avec les lettrés chinois qu'ils rencontraient, puis avec les populations des endroits où il leur était loisible de s'installer. L'entreprise exigeait d'eux de se laisser former par l'art chinois de la conversation. Du reste, la pensée chinoise antique s'était développée selon des règles très proches de celles de la conversation spirituelle, de cette manière souple, vivante et empathique d'entrer en relation avec le prochain comme avec l'inconnu dont Ignace de Loyola recommandera de faire un usage privilégié. Les penseurs chinois cherchaient moins à convaincre qu'à inspirer, guider, parfois troubler leurs disciples et leurs interlocuteurs. Et ils ne séparaient pas le désir d'enseigner l'autre de celui d'être enseigné par lui. La compréhension progressive de certains de leurs livres – les Analectes de Confucius en premier lieu, mais aussi le Mencius – allait encourager les jésuites à déployer leur propre style de converser, mais aussi à l'affiner, à l'adapter, à le croiser avec l'art de converser propre à la Chine. Aujourd'hui encore, dans la rencontre entre cultures et religions, ce ne sont pas seulement les contenus de nos échanges qui s'entrecroisent, mais aussi les façons et les styles par lesquels nous veillons à garantir la continuité comme l'évolution perpétuelle de nos échanges.
Les Analectes en font