Dès l'âge de dix ans, l'amour le plus violent m'a assiégée et pressée à tel point que je serais morte dans les deux ans qui suivirent, si Dieu ne m'avait pas donné une force supérieure à celle des personnes ordinaires et n'avait pas recréé ma nature à partir de son être. [...] Par tout ce que je déchiffrais entre lui et moi dans cet amour vécu – parce que les amants n'ont pas coutume de se cacher l'un de l'autre mais qu'ils partagent beaucoup, comme c'est le cas de l'expérience intime qu'ils font ensemble : on jouit de l'autre, on le mange, on le boit et on l'engouffre entièrement…
Ainsi donc, avec ces signes que Dieu, mon aimé, me concédait si généreusement dans les commencements de ma vie d'amour, il m'a donné une telle confiance en lui que, bien des fois à cette époque, j'ai osé penser que jamais personne ne l'avait aimé avec une telle passion que moi. La raison cependant me faisait voir clairement que je n'étais pas la plus proche de lui. Mais, subjuguée par cette expérience si profonde de l'amour, je ne pouvais pas me persuader assez pour le croire.
C'est ainsi que je suis. Dans le fond, je ne crois pas que Dieu reçoive de moi l'amour le plus grand, mais je ne crois pas davantage qu'il y ait une seule personne dont Dieu reçoive plus d'amour que de moi.
À certaines heures, l'Amour m'illumine et je vois ce qui me manque et que je ne réponds pas à mon aimé de la façon qu'il le mérite. Mais, à d'autres moments, la suave nature de l'Amour m'aveugle parce qu'alors je le savoure et je le sens. Alors je me vois comblée et, à certaines heures, je lui confesse en silence qu'il me suffit.