Introd. J. Ruffing.
Cerf, 2005, 316 p., 26 euros.


Grande bourgeoise d’avant 1914, mariée à un incroyant qu’elle aimait tendrement (et qui, après sa mort, fut converti par la lecture de son Journal), Elisabeth Leseur a vécu dans le secret de son coeur un amour intense pour Dieu, tout en tenant son rang dans le milieu d’intellectuels indifférents ou hostiles à la foi où elle vivait. Cette opposition entre l’intérieur et l’extérieur, jointe aux attaques récurrentes de la maladie, a été pour elle à la fois une souffrance transformante — la souffrance de ne pouvoir partager avec ses proches, avec son mari, ce qui était le coeur de sa vie — et le lieu d’une religion du devoir quotidien. Renonçant aux « oeuvres » où elle aurait passionnément désiré servir Dieu et les pauvres, elle a rayonné l’amour de Dieu en acceptant silencieusement la souffrance, « forme achevée de la prière » et en accomplissant avec un désintéressement héroïque et une charité tout aimable son rôle de femme du monde. Avec cela une intelligence exigeante (elle a appris le latin pour lire saint Thomas et le russe pour lire Dostoïevski) et un style où jaillissent parfois des maximes spirituelles denses et justes.
Avouons qu’il y a, malgré le travail de la grâce, encore quelque chose de tendu chez elle, et qu’il nous faut nous dépayser pour entrer dans ce monde contemporain de Proust et sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. L’excellente introduction de la soeur Ruffing aidera beaucoup à recueillir le fruit spirituel de cet itinéraire à la fois banal et hors du commun.