Aujourd'hui, notre Église en France doit gérer à la fois la perte, la culpabilité et l'avenir. Pour l'auteur, la pauvreté actuelle est d'abord un signe pour inventer des voies nouvelles, sous le sceau de la commune fraternité.

Peu de temps après la demande de cet article, la liturgie du mardi de la troisième semaine de l'Avent (15 décembre 2020) faisait lire Sophonie 3, 11-12 : « Tu cesseras de te pavaner sur ma montagne sainte. Je laisserai chez toi un peuple pauvre et petit. » Le prophète appelle ce peuple le reste (So 3, 13) protégé non par sa puissance, mais par son humilité (So 2, 3). Il rejoint ainsi la théologie du « petit reste » dont la fidélité à Dieu garantit le redéploiement, qu'Isaïe chante avec enthousiasme : « Élargis l'espace de ta tente » (Is 54, 2).

Abandonner un rêve de puissance

Ces prophéties sont susceptibles de deux interprétations. La première est consolante : l'épreuve qui a provoqué la diminution de la renommée, le déclin de la gloire, n'est pas véritablement une perte, mais une purification, un amaigrissement d'obésité malsaine dont on « se pavanait », pour un nouveau départ nerveux et conquérant : « On reconstruira chez toi les ruines antiques » (Is 58, 12). Il se produit une crise, mais pour une renaissance. Un hiver qui prélude au printemps.

La seconde interprétation est plus réservée. Jésus lui-même contrecarre les rêves expansionnistes de ses disciples : il les appelle « petit troupeau » (Lc 12, 32). Ils ne seront jamais de taille à lutter contre la puissance romaine que Luc connaît bien. Il y a donc une perte, celle d'un rêve de puissance, celle d'une image de soi triomphante, sans revanche envisagée. La perte la plus poignante touche les représentations fantasmées de soi-même.

L'évangile de Matthieu insiste sur le même point. Les disciples sont « le sel de la terre » (Mt 5, 13 ; trop de sel rend le plat immangeable), « le levain dans la pâte » (Mt 13, 33). Le Royaume promis, loin de ressembler au cèdre royal (Ez 17, 22), se montre dans le « grain de sénevé » (Mt 13, 31). Jésus ne parle pas de nombre, il demande d'avoir du goût. Ce n'est pas pareil.

Question de goût

« Perdre le goût » est une maladie ; « perdre goût », une dépression. Les deux sens sont voisins, mais non identiques. L'épître aux Hébreux mentionne les chrétiens qui perdent le goût des assemblées (He 10, 25). Ils sont nombreux aujourd'hui à souffrir de la même inappétence. Il est plus facile de les accuser que de s'interroger sur nos liturgies. Car s'ils ont « perdu le goût » de s'y rendre, c'est que nos liturgies ont « perdu goût » pour eux. Fait étonnant, deux évangiles abordent cette question, justement à propos de la « brebis perdue ».

Chez Luc, la brebis se perd. L'herbe est plus verte ailleurs : elle s'en va (Lc 15, 4). Luc est bien persuadé que le berger la retrouvera (« il part la rechercher jusqu'à ce qu...


La lecture de cet article est réservée aux abonnés.