Adorer, c’est littéralement mettre la main à la bouche (ad os) pour envoyer un baiser à quelqu’un. On connaît par ailleurs la tradition de porter à la bouche le bord du vêtement de la personne que l’on veut honorer ou encore de baiser la terre. Ces gestes étaient pratiqués par les Romains pour honorer l’empereur et ses statues. Les chrétiens, qui les réservaient à Dieu et au Christ, avaient conscience, comme le dit Clément d’Alexandrie, d’« adorer d’une manière nouvelle » 1. Ceci n’était pas toujours compris de leurs contemporains. Il arrivait que ce refus d’adorer les empereurs ou les idoles les fît passer pour des athées. Imprégnés de la Bible et de la foi au Christ, ils savaient qu’on ne peut adorer que Dieu seul. Mais ce qui échappait à leurs contemporains, ce qui les choquait, c’est que leur adoration se trouvait liée de manière indissociable à l’existence d’un certain Jésus de Nazareth.
L’originalité des chrétiens est sûrement là : ce Dieu venu dans la chair et dans la faiblesse est au centre de leur adoration. Une telle foi pouvait être objet de moquerie, comme on peut le lire sur une inscription trouvée sur le Palatin, à Rome, datant sans doute de la première moitié du IIIe siècle. On y voit un certain Alexamenos faisant le geste d’offrir un baiser au Christ, qui, attaché sur une croix, a une tête d’âne. Gravé près du dessin, on trouve ces mots : « Alexamenos adore son Dieu. » Sans doute est-ce ainsi que les Romains se moquaient des chrétiens.


Un mot essentiel


« Adoration » est l’un de ces mots essentiels de la foi. Alors que « croire » est trop souvent confondu avec « tenir pour vrai », réduisant la foi à une démarche trop cérébrale, « honorer » et « vénérer » ont l’inconvénient d’entretenir l’idée de distance et de formalité qui fausse le rapport avec le Dieu de l’Évangile. Adorer, tout en incluant ces autres notions, ajoute, comme le dit un dictionnaire, « l’idée d’un amour profond et sans bornes ». Peut-être avons-nous trop peu conscience du sens de certains gestes de la liturgie qui voudraient traduire cela.
Entre les Mages « venus d’Orient pour l’adorer », qui « virent l’enfant avec Marie, sa mère » (Mt 2,2.11), et Thomas qui s’écrie en voyant les mains transpercées de Jésus et son côté ouvert : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jn 20,28), il y a une profonde cohérence. C’est dans la faiblesse et