Venu de sa Hollande natale pour servir dans la province du Proche-Orient de la Compagnie de Jésus, il a vite opté pour la Syrie. Pendant près de cinquante ans, il l’a servie de multiples manières : par l’écoute individuelle et compétente (en tant que psychanalyste) de toute personne en peine ; par les longues marches à travers la Syrie en toute saison rassemblant des centaines de jeunes de tous horizons et communautés ; par la fondation de « Al-Ard » près de Homs comme lieu de production, de d’habilitation professionnelle, de rencontres (y compris pour des stages de Zen) et de réhabilitation des handicapés moteurs. Et surtout, par sa volonté de rester à Homs assiégée et détruite pour accueillir les réfugiés civiles de toute obédience et leur assurer une certaine protection et survie, en partageant leur sort, à 75 ans passés.
L’ayant connu de près quelque temps après son arrivée au Proche-Orient, et devenu par la suite le parrain baptême de l’une de nos filles, je crois pouvoir traduire, à ma manière, la foi qui l’animait, voire le secret de sa “sainteté“, terme qu’il aurait décliné à coup sûr.
Toujours disponible et accueillant avec affabilité, son attitude de fraternité “virile“ appelait chacun à prendre conscience de sa dignité d’homme et de femme pour affronter les difficultés et vivre pleinement sa vie, en puisant ses ressources, sinon dans une fois éclairée, du moins dans son humanité même. Pour lui, prenait toute sa valeur cette réflexion d’un père de l’Eglise: « La grandeur de Dieu c’est l’homme vivant», et Franz aurait ajouté : « l’homme debout ». Cela se traduisait dans son comportement : jamais abattu même dans les épreuves les plus atroces, toujours prêt à aller de l’avant. D’où son appel connu de tous : Ila al-amâm ! (En avant !). Il trouvait la force de l’âme, de l’esprit et du corps dans la méditation continue de l’évangile vécu dans les aléas de l’ici-maintenant, mais aussi dans un humanisme ouvert à toute valeur humaine, dans l’exercice continuel du corps (la marche) et de l’esprit (humanisme ouvert à l’universel) et dans la pratique quotidienne du yoga et du zen auxquels il ne cessait d’initier les groupes venus vers lui.
Je reste, cependant, particulièrement sensible à l’un de ses traits de génie, grâce auquel il sut identifier le point névralgique de la société syrienne, celui que  la guerre civile a si tragiquement révélé par la suite. Il acquit l’intime conviction que la voie vers la modernisation, le développement et même l’humanisation tout court, passait par le fait de vivre simplement et quotidiennement les valeurs de la citoyenneté. Dans le climat de dissensions et de violence contenue des dernières décennies, être chrétien, croyant ou un simplement humain, , signifiait pour lui : s’efforcer de vivre ces valeurs que tout un  chacun revendiquait et bafouait à la fois. Brandis de toute part, les slogans de Démocratie, Modernisation, Progressisme, Authenticité… se vidaient de leur sens. Il fallait de l’héroïsme, dans un tel contexte, pour vivre la citoyenneté comme une vertu allant de soi. Je me plais à croire que, pour lui, la sainteté passait obligatoirement par là, par ce que j’appellerais « La sainteté de la citoyenneté ordinaire ». Il en fallait, de la sainteté, pour que lui, l’étranger et qui plus est  étranger d’un Occident loin d’être indemne des malheurs et tragédies du Proche-Orient, puisse incarner à ce point parmi les Syriens la figure de la citoyenneté.
Pourquoi n’oserais-je pas, malgré ma réticence à user du terme de martyr si galvaudé par mes concitoyens, appliquer à Franz Vander Lught, jésuite néerlandais, cette adresse du poète palestinien Mahmoud Darwiche au Christ : « De nous tous, tu es le Martyr le plus beau ! ».

Boutros Hallaq
Professeur émérite de littérature arabe
Sorbonne Nouvelle – Paris III.