Gallimard, 2008, 95 p., 13,90 euros.

Jean-Pierre Lemaire a l’art de « se taire sous les mots », et sa poésie atteint ici une fois encore à la profondeur d’un silence contemplatif. Elle prend racine dans la réalité commune pour l’élever et l’alléger. Ces courts textes peuvent être de menus éclats de la vie quotidienne, des scènes de rue, comme le marché de Naples, ou des tableaux, comme « Vinti­mille au printemps » ; ils peuvent aussi, comme « Auschwitz », dire la folie des hommes et la confiance en Celui qui garde « l’étoile de chacun ». Mais tous sont unis par la cohérence d’un chemi­nement sous le regard de la foi.
L’expérience première est celle de la séparation, et la souffrance de se croire éloigné de la source poétique. Or écrire, c’est répondre à un appel – appel lent à venir, et attendu dans la patience. Le recueil offre donc une riche relecture de signes d’espoir et de réconciliation, au cours de laquelle s’élabore l’appren­tissage d’un « nouvel art poétique », et d’un nouvel art de vivre en esprit et en vérité. Jamais en effet la poésie de Jean- Pierre Lemaire n’a été si lumineuse, si solaire ; non pas d’une lumière éblouis­sante, mais de la lumière de l’aube ou du soleil couchant. L’oeil du poète capte avec acuité, et avec tendresse, les contours des choses, les rayons venus éclairer les pieds d’une croix, ou, dans le jardin, la couleur mauve des phlox plantés par son grand-père, devenue si vibrante qu’« un sourire âgé / remonte dans les fleurs ».
L’épreuve de la pauvreté intérieure prend alors sens : séparant, dénudant, elle rapproche du coeur du monde et du coeur de Dieu. Peu à peu se restaure une connivence heureuse, jusqu’au mo­ment où est enfin reçu le don de se sen­tir « de plain-pied avec toute la terre », et de se fondre en « frère mineur » au peuple des humbles et des infirmes. Ce sont eux qui révèlent la vraie nature de la « figure humaine », celle que le Christ nous a pour toujours redonnée. Nos souffrances, ou celle de la voisine aux os friables comme du verre et qui meurt à la fin du livre, sont transformées dans le même « moulin mystique ». Le poète, lui, partage avec ses lecteurs « les mots, les mots, le pain des choses », et ses mots sont nourriciers.