Si la poésie est fruit du sensible et du cœur, il lui faut encore savoir s'arrêter de manière à prendre le temps de contempler et faire sienne ce que l'émotion a pu susciter jusqu'à engendrer un univers. Dans son nouveau recueil, écrit en mémoire de son père, Béatrice Marchal donne en partage « un élan définitif vers la vie », après avoir retrouvé « ce qui n'a cessé de vivre / en secret au plus profond… »

En effet, l'écho des pas anciens auprès du « vieux tronc / prodigue de souvenirs » et l'amour familial accueilli, recueilli, conduisent à renaître au cœur des événements de l'existence, de ce qui fait l'ineffaçable appel à habiter sa vie, d'en suggérer la parole, souvent au prix de la blessure. Ce que les poèmes dévoilent, au-delà des contradictions d'itinéraires détenant « en leur sein les fils colorés et innombrables / qu'entre eux tissent les êtres… » Oui, il s'agit d'habiter le présent, sans renier ce que l'on est, en acceptant messages non déchiffrés, interrogations, manques de vigilance et doutes. Ainsi, Béatrice Marchal demeure attentive à ce que son histoire lui révèle, aux liens avec ceux qui l'ont fait naître, à son émerveillement face à la création parce que les oiseaux « nous laissent plus légers / plus proches du cœur des choses / et peut-être des hommes ».

L'auteure, même si le chemin n'est pas facile, cherche à comprendre son mystère, invite à lire et interpréter en conscience les signes multiples du temps vécu, à ne pas s'extasier sur un passé qui enferme souvent, désire plutôt interroger sans nostalgie son parcours, sa mémoire, pour tout recevoir de la vie, hic et nunc, dans l'enracinement à une terre, à un amour « à la découverte d'une eau / où comme un bonheur partagé, / s'intensifie la lumière ».

L'accomplissement qui en découle est en vérité amour de l'autre sans le manipuler par l'affectif, amour de l'autre pour lui-même et non parce qu'il vient combler un besoin. L'amour possible est alors engendrement de l'être à la vie : « Père, tu auras trouvé la voie / d'une lumière plus intense / et parfois […] / je sentirai, / le temps d'un éternel battement, ta tendresse / tournoyer autour de mes mots en flocons d'or. »

À partir de la réalité offerte des choses, des êtres et des jours, le sujet de la poésie n'est pas d'inventer. Au-delà de ce qui peut apparaître détresse des jours, elle contribue non à une connaissance, mais à dire l'histoire d'une rencontre personnelle avec ce qui fait vivre au cœur le surgissement de l'être. En très belle poétesse, Béatrice Marchal nous en livre un témoignage bouleversant. Une poésie limpide (la clarté de la source), maîtrisée, superbe. Et la densité de cette œuvre grave ouvre à l'invisible : « Regarde par la fenêtre ouverte / la vie qui chemine à travers les choses / comme à travers les mots – ces mots qui par la bouche / des vivants permettent aux morts de vivre encore. »