Dans l'hôtellerie d'un monastère, on peut lire ces lignes, comme une invite : « A mesure que vous prenez de l'âge, chacun s'attend à ce que vous soyez plus patients, plus disponibles et fraternels... » Salutaire réflexion pour une entrée en soi-même ! Quel est-il donc, celui qui attend plus de douceur de votre part ? Vous-même peut-être ; votre entourage, sans doute ; le Seigneur Dieu, certainement, qui voit en chacun ce visage qu'il continue d'espérer.
La chronique franciscaine raconte qu'un jour frère Léon demanda à François : « Dites-moi sans fard quelle opinion vous avez de vous-même ! » Et saint François de répondre qu'il se considérait comme le plus grand pécheur que la terre ait porté. « Mais vous voyez bien que d'autres commettent des fautes plus graves que les vôtres ! » « Oui, mais, répliqua François, si ceux-là dont vous parlez avaient reçu autant de dons et de grâces que j'en ai reçus, je suis sûr qu'ils se seraient montrés beaucoup plus reconnaissants que je ne suis. »
Mis en demeure, François d'Assise révèle d'un trait le fond de son cœur : le désir de devenir pleinement reconnaissant. La patience, la disponibilité, la sagesse des ans, certes, mais elles ne seraient encore que des vertus dont tout homme est capable, si elles ne devenaient l'expression, l'éclat de l'amour, de cette charité divine dont saint Paul dit qu'elle excuse tout, qu'elle croit tout, qu'elle espère tout, qu'elle supporte tout. Vieillir, c'est peut-être cela : mettre à profit le temps qui nous est donné pour devenir plus reconnaissant, dans la double acception de ce terme.
La reconnaissance, c'est d'abord l'expression de la gratitude pour tout le bien reçu, avec le désir de répondre, d'offrir à son tour. Tant qu'on est dans la force de l'âge, on s'attribue sans y penser les énergies qui nous font agir. Mais quand les forces diminuent, on s'aperçoit mieux que tout est don, que tout est grâce. Et nous reviennent en mémoire ces moments de la vie où il nous fut révélé que tout nous était donné ; donné dans la générosité de la création, dans la chaleur de l'amitié, dans la confiance en Dieu ; donné encore dans la traversée des épreuves de l'existence où il nous a soutenu de sa fidélité.
Reconnaître, c'est aussi identifier celui qui est à l'origine de ces dons. Joie de pouvoir donner son vrai nom au mystère de l'existence qui nous porte. « Révèle-moi ton nom », supplie Jacob au terme de la nuit où il lutta avec Dieu pour obtenir sa bénédiction. Vieillir, c'est aller vers celui que nous connaîtrons comme nous sommes connus de lui. Seul le sens de la durée, qui permet les combats et les réconciliations, peut nous faire pressentir dans la foi qui est Dieu, et qui nous sommes pour lui, notre identité profonde, le nom par lequel il nous appelle, par lequel il nous appellera au jour où il viendra.
Au terme des Exercices, comme s'il s'agissait du fruit d'une longue maturation, Ignace reprend les mots de François en faisant demander la grâce de devenir pleinement reconnaissant : « Tout ce que je suis, tout ce que j'ai, tu me l'as donné. Dispose de tout selon ton vouloir. Donne-moi seulement ton amour et ta grâce, cela me suffit. »