Les femmes tiennent une place de plus en plus importante au sein des communautés chrétiennes, où elles assument presque à elles seules la transmission de la foi aux jeunes. Ce rôle croissant est une chance, dans la mesure où il équilibre une Eglise séculairement marquée par la parole masculine. Mais il pose aussi une question d'ordre spirituel : car si l'homme et la femme vivent différemment leur être au monde, ils vont aussi à Dieu à leur manière masculine et féminine. C'est cette différence spirituelle qu'il s'agit de mieux entendre, pour que l'Eglise respire selon toutes ses dimensions.
Or cette différence fut longtemps quasiment gommée. Un discours spirituel devenu univoque, pour ne pas dire unisexe, avait banni la tendresse. Il fut un temps où l'Eglise apprenait des femmes comme des hommes à vivre l'aventure de la foi, où la littérature spirituelle parlait de l'expérience de Dieu dans un langage symbolique beaucoup plus diversifié : Hadewijch d'Anvers, Catherine de Sienne, Thérèse d'Avila ont profondément marqué la tradition chrétienne. Mais depuis le « crépuscule des mystiques » à la fin du XVIIe siècle, sous l'effet d'une certaine rationalisation de la foi et du primat de l'efficacité, l'Eglise est devenue plus masculine encore, se privant ainsi davantage d'une moitié d'elle-même devenue silencieuse.
Un travail de différenciation est à reprendre aujourd'hui, à la lumière de la tradition, de l'anthropologie et de la théologie biblique, dans un contexte culturel profondément modifié. Toute l'Eglise serait bénéficiaire d'une réflexion où hommes et femmes parviendraient à se dire comment ils vivent respectivement leur foi et leur amour du Seigneur. Dans son beau livre, Femme au Vatican (Siloë, 2000), Lucienne Salle évoque la visite du Pape à Calcutta : « Dans le mouroir, Mère Teresa guidait Jean-Paul II qui lui tenait la main et pouvait ainsi apprendre d'elle à regarder chaque malade et à le nommer par son nom : seule une femme pouvait l'introduire dans ce mystère de compassion... »
C'est parce qu'ils marchent à leur pas devant Dieu qu'homme et femme vivent aussi l'Eglise différemment. Comment donc ouvrir davantage l'Eglise à sa dimension féminine, sans pour autant édulcorer sa voix masculine, afin de réajuster sa partition sexuée ? Telle est la visée de ce numéro. Lorsque Thérèse de Lisieux dit, comme seule une femme peut le faire : « Jésus, je t'aime... », elle le dit pour l'Eglise entière avec autant de folle audace que Paul, l'apôtre des Nations, quand il affirme : « Je vous ai fiancés à un époux unique ! » Mais ils le disent autrement, et c'est une grâce pour tous.