Que dois-je faire?? Quelle décision prendre?? Quelle est la meilleure solution?? Tous les jours nous sommes ainsi appelés, et souvent dans l’urgence, à trouver la meilleure réponse possible aux mille et une questions que nous pose la vie, dans ses multiples registres?: personnel, familial, professionnel, affectif, social, culturel, spirituel… Tous nos choix tissent notre liberté et orientent notre histoire et il s’avère qu’une démarche intérieure les conduit, même pour les plus anodins d’entre eux. Là se déploie le discernement qui unit notre aptitude à distinguer, quand celle-ci s’ouvre au jaillissement de la joie dans les profondeurs de notre être, avec le regard de Dieu.
Appeler au jour ce qui est confus
Discerner, c’est appeler à la lumière ce qui n’est pas encore visible, ce qui est enfoui dans la confusion. C’est faire le tri entre les diverses aspirations et résistances que suscitent en nous un choix à faire ou un projet à bâtir. Dès lors que les circonstances et la possibilité du choix sont assurées, on peut alors se laisser conduire par ce qui fortifie en nous la liberté, motive la volonté et donne davantage de sens à notre vie. Plus la personne est impliquée par ce travail de discernement et de libération et plus elle y est engagée, plus il s’impose. Car, de la liberté renouvelée qui naît avec la décision, dépendent la liberté, la ténacité, la conviction nécessaires à sa mise en œuvre et à sa fécondité.
Au préalable, il nous faut donc trouver une vraie liberté intérieure, pour que nos facultés d’analyse et de choix ne soient pas le fruit de nos passions ou d’attachements subtils à des idées ou des valeurs qui les oblitéreraient. La liberté de jugement est particulièrement nécessaire à l’examen des enjeux et des raisons, à la délibération intérieure des arguments et à l’engagement résolu dans la voie choisie. Il s’agit de désirer et vouloir vraiment, du plus profond de nous-mêmes, la décision qu’on prend, avec le coût ou le risque qu’elle peut parfois engendrer. C’est ce que, dans la foi chrétienne, on appelle « chercher et accomplir la volonté de Dieu », « choisir dans le Christ, à la lumière de l’Évangile »…
Ce travail de clarification et de libération met en œuvre ce que, depuis des siècles, les moralistes, les mystiques, les maîtres spirituels, tout particulièrement Ignace de Loyola, désignent comme une démarche de discernement.
Discerner aujourd’hui la chair du Christ
Même s’il sollicite la réflexion et l’intelligence, un discernement n’est pas d’abord une démarche intellectuelle, ni une méthodologie de la décision aux techniques éprouvées. Il ne consiste pas non plus à appliquer à une situation des valeurs morales ou spirituelles, même si ces dernières l’éclairent avec une grande pertinence. Pas plus qu’à travailler psychologiquement sur soi-même pour être plus libres dans nos décisions, ce qui peut pourtant s’avérer parfois nécessaire.
Dans la dynamique et l’esprit des Exercices spirituels d’Ignace de Loyola, il s’agit plutôt de repérer et d’identifier des mouvements qui surgissent du fond de soi et impressionnent notre conscience, notre corps et tout notre être, à l’occasion d’une activité ou d’une prise de décision. Les uns génèrent de la joie, de la sérénité, du courage et de la motivation et tout simplement foi, espérance et charité?; tandis que d’autres, à l’inverse, conduisent, malgré les apparences parfois, au repli, à l’angoisse, à la tristesse, à la défiance, voire au découragement, ou encore à une agitation inquiète. La tradition spirituelle y discerne des « esprits »?: ceux qui conduisent à une vie plus féconde et sensée, dans la lumière de l’Esprit saint et la force de l’Évangile. Et ceux qui mènent à la destruction intérieure, soit en flattant la complaisance ou en excitant l’envie (comme pour les pharisiens), soit en paralysant dans la peur et le repli (comme le troisième homme de la parabole des talents). Comment ces esprits se manifestent-ils en nous et à quelles occasions?? Comment disparaissent-ils ou se substituent-ils les uns aux autres, guidant ainsi le discernement??
Dans le recueillement, la prière et l’attention à soi, on se laisse ainsi déposséder de l’emprise d’images, de sentiments ou de raisonnements, et on laisse l’unité de soi-même se recomposer à partir de la dynamique porteuse d’une décision claire et sensée, pour soi et pour les autres. On « sent » intérieurement que les choses prennent sens et s’ajustent en nous. Des arguments, des raisons d’agir prennent le pas sur d’autres, en même temps qu’une motivation profonde nous renouvelle. Un nouveau souffle rythme notre existence. Dans la foi, nous cherchons et accueillons ainsi en nous la lumière de l’Esprit saint qui discerne avec nous dans nos profondeurs, comme il le fit en Marie et, auparavant, avec les prophètes. Il donne sens, goût et chair à la parole de Dieu qui accompagne notre recherche et fait mûrir en nous un choix qui s’accomplit ou se renouvelle.
Une démarche d’Église
Le discernement ouvre donc un processus qui requiert un peu de temps et quelques conditions. La première est d’avoir une intention droite et un grand désir de trouver une vraie liberté intérieure pour choisir. L’expérience du discernement est l’occasion de clarifier de manière concrète le sens que chacun donne à sa vie et qui construit au jour le jour sa liberté. Les deux portraits qui ouvrent le volume indiquent que tous y sont conviés quelles que soient les limites physiques, psychologiques ou morales qui altèrent une vie. Une seconde condition est de trouver un accompagnateur spirituel, une personne expérimentée et formée, une sœur ou un frère en Église, laïc, clerc ou religieux, non concernée par la décision à prendre, mais en qui on a toute confiance, pour se faire aider dans une lecture fine des situations et de son histoire, des mouvements intérieurs et des signes de l’Esprit aux différentes étapes du processus. On ne discerne pas seul mais avec une personne qui écoute, et tout discernement personnel dans la foi fait grandir et vivre l’Église.
Prendre le temps et les moyens de discerner l’une ou l’autre décision importante dans sa vie est une expérience très fructueuse de mise en vérité et en liberté de soi-même. Dans une époque où se multiplient les situations complexes en même temps que de subtiles résistances à la décision, à l’engagement de soi dans ses paroles et ses actes et à la prise de risques, l’enjeu du discernement est décisif pour l’avenir de tous et la sainteté personnelle. Mais, aujourd’hui, et depuis quelques décennies, c’est aussi du côté d’un discernement commun et de décisions partagées, en équipe ou au sein d’institutions, que souffle l’Esprit de Pentecôte. Puissent ces textes éclairants contribuer, avec saveur et rigueur, à une spiritualité vivante du peuple de Dieu?!
