Ed. H. Laux et D. Salin. Editions Facultés jésuites de Paris, 2002, 295 p., 20 €.
 
Cet ouvrage est la trace écrite, soigneusement retravaillée, d'une session pluridisciplinaire donnée sous le même titre au Centre Sèvres en septembre 2001. Avant d'être conquis, le lecteur devra donc triompher du préjugé tenace selon lequel un ouvrage collectif serait fatalement une monstruosité littéraire, d'une architecture (baroque ?) sans cohésion interne...
Ce préjugé vaincu, on se réjouit de découvrir des textes qui semblent s'être donné pour but de raviver notre goût des œuvres classiques. Avantage d'une telle architecture on y pénètre par la porte de son choix, qu'elle se nomme Descartes, Monteverdi, Fénelon ou Spinoza, avant de reprendre une lecture plus fidèle au plan d'ensemble. On vérifie alors que loin d'être un obstacle à une réflexion unifiée, l'interdisciplinarité se révèle stimulante et savoureuse : Galilée pour mieux sonder le secret d'un Vermeer ? Molière pour s'interroger sur... la pédagogie pastorale ?
Le Grand Siècle amplifie majestueusement les évolutions suscitées par les époques antérieures, avec, dans tous les domaines, l'expérience pour fonder la démarche de pensée. Philosophes, théologiens, artistes ont le regard aiguisé — ou troublé — par l'exploration d'un cosmos désormais désenchanté. Où est Dieu ? Et comment oser en parler, lorsque le Dieu du ciel paraît s'éloigner et que les rois de la terre entendent gérer l'Absolu ?
Le lecteur de Christus s'attachera bien sûr aux chapitres où l'ouvrage aborde la mystique. Au temps des Arnauld et des Madame Guyon, portée par ce courant expérimental, elle se laïcise, multiplie des récits. Elle s'est forgé un vocabulaire neuf, tiré du trésor des courants spirituels européens. Les traductions en chaîne s'enchevêtrent — et avec elles de regrettables contresens (« passiveté », « in-action ») suscitant équivoques et polémiques... Loin de révéler un Dieu des mystiques, l'aventure spirituelle de cette époque est foisonnante. Elle entraîne les grands (jusqu'au ravin de Port-Royal), elle conduit des « pauvres » incultes (avec enthousiasme et rigueur, des Surin s'en font les messagers). Elle pousse la quête de Dieu du côté de l'homme intérieur, puisque l'univers extérieur est livré aux explorations de la science profane. Justement : la mystique, science expérimentale ? Peut-être, mais alors, rançon de cette reconnaissance, en exposant ses manifestations et ses écrits à devenir, parmi d'autres, des objets d'observation scientifique, jusqu'à prêter aux soupçons de l'impénétrable et du pathologique.
Par sa structure délibérément prismatique, cet ouvrage rend bien compte de la lumière particulière de cette époque. Elle n'est pas que solaire puisque les étoiles de l'astronome y ont leur part. Elle n'est pas qu'éblouissante, car le mystique affronte l'exil de toute jouissance spirituelle. On y discerne déjà l'aurore des « Lumières ». Le temps se couvre pour le Dieu fait homme. Pour notre époque, confrontée elle aussi à l'essor impérieux du voir et de l'expérience, c'est, plus que jamais, un temps de saison. D'où l'intérêt de ces pages qui, sans contraindre à des parallélismes faciles entre les siècles, éclairent d'un jour fort riche la quête toujours à reprendre d'un langage religieux adapté à l'expérience des hommes.