Rue de l'Evangile.. C'est le nom de la rue qui traverse le quartier de la Chapelle à Paris, dans le xviir arrondissement, avec ses 27 000 habitants (60 nationalités). Pourtant, seuls 350 (soit 1,3% de la population) fréquentaient régulièrement la paroisse Saint-Denys de la Chapelle avant les lournées Mondiales de la Jeunesse de 1997. Comment pouvions-nous atteindre les 98,7% restants ? Comment faire grandir la conscience missionnaire de ceux qui se reconnaissaient déjà comme croyants ?
Nous avons d'abord cherché à favoriser la convivialité des pratiquants en organisant des repas une fois par mois après la messe du dimanche. La participation fut bonne avec plus de 150 personnes à chaque repas. Mais, les mois passant, il y avait de plus en plus d'enfants et de moins en moins de parents. Ces repas manquaient d'animation et de profondeur. Manger à la même table ne suffit pas à susciter la vie fraternelle. Nous avons alors cherché à répondre à la demande de certains recommençants dans la foi en leur proposant la catéchèse pour adultes, dispensée pendant les rencontres mensuelles du catéchuménat paroissial. Mais la formation que nous donnions, surtout basée sur des enseignements, manquait de partage fraternel, de convivialité et d'initiation spirituelle. De plus, le rythme mensuel de ces rencontres nous obligeait à remotiver les personnes avant chaque réunion (avec plus ou moins de succès).
Depuis quelques années, le groupe de prière de la paroisse introduisait à une foi vivante, une expérience spirituelle. Mais les personnes en recherche qui rejoignaient ce groupe avaient aussi besoin d'une catéchèse de base. Par ailleurs, plusieurs petits groupes de partage de vie, de qualité, aspiraient à s'élargir. Bon nombre de personnes assumaient des services concrets dans la paroisse, mais les liens entre elles et le reste de la vie paroissiale demandaient à être renforcés. Enfin, le grand besoin de catéchistes, d'animateurs d'aumônerie, d'équipes de préparation au mariage et au baptême indiquait la nécessité de redynamiser la vocation missionnaire locale de tout baptisé.
 

Le miracle des JMJ


En 1997, la paroisse, comme d'auttes en France, a été sollicitée pour accueillir des jeunes à l'occasion des JMJ. Nous nous souvenons tous de l'invitation faite aux jeunes du monde entier : « Venez et voyez ! » Des jeunes (nous en attendions 2000) allaient venir chez nous, de Pologne, de Saint-Domingue, des Etats-Unis, d'Australie, pour voir... Mais voir quoi ? Il n'y avait ni édifice extraordinaire, ni communauté chrétienne si vivante que cela vaille le déplacement de si loin ! Emboîtant le pas sur l'acte de foi du pape, nous nous sommes donc préparés à accueillir les jeunes. Pendant presque deux mois, deux, quaue, puis quinze, puis quarante et jusqu'à cent dix personnes de la paroisse et du quartier ont oeuvré pour les recevoir. Nous avons aménagé les locaux, partagé les repas, prié ensemble et intercédé pour ces jeunes qui allaient venir. Et au moment où les jeunes sont effectivement arrivés, un petit miracle s'était produit. Il y avait quelque chose à voir : une communauté chrétienne vivante et accueillante ! Après les JMJ, nous nous sommes posés les deux questions suivantes : 1. Qu'est-ce qui a rendu notre paroisse vivante ? 2. Comment continuer à vivre cela ?

• Qu'est-ce qui a rendu notre paroisse vivante
? La joie vécue durant cette période nous a amenés à relire l'expérience de l'Eglise primitive :

 
« Les premiers chrétiens se montraient assidus à l'enseignement (5) des apôtres (6), fidèles à la communion fraternelle (2), à la fraction du pain et aux prières (1). La crainte s'emparait de tous les esprits, nombreux étaient les prodiges et signes accomplis par les apôtres. Tous les croyants ensemble mettaient tout en commun (2), ils vendaient leurs propriétés et leurs biens et en partageaient le prix entre tous selon les besoins de chacun (3). Jour après jour, d'un seul coeur, ils fréquentaient assidûment le Temple et rompaient le pain dans leurs maisons (1), prenant leur nourriture avec allégresse et simplicité de coeur (2). Ils louaient Dieu (1) et avaient la faveur de tout le peuple. Et chaque jour, le Seigneur adjoignait à la communauté (4) ceux qui seraient sauvés » (Ac 2,42).

Ainsi, à la relecture des événements des JMJ, il semblait que le « petit miracle » qui s'était produit au milieu de nous était dû au fait que nous avions vécu les six dimensions de la vie chrétienne décrites dans les Actes, et ce avec le même groupe de personnes : (1) La prière (personnelle et communautaire) ; (2) La vie fraternelle (repas, vie ensemble, groupe de partage sur ce que nous vivions) ; (3) Le service concret (préparation des lieux, des repas) ; (4) La mission (toute cette activité était au service de l'évangélisation des jeunes) ; (5) L'approfondissement de la foi (à l'occasion des grandes célébrations et des catéchèses) ; (6) Le lien avec l'Eglise universelle (une ouverture au-delà des frontières de la paroisse)... Avant les JMJ, nous avions bien essayé de vivre ces différents points, mais nous avions voulu les promouvoir séparément. Nous découvrions la fécondité de les vivre simultanément avec les mêmes personnes.

• Comment continuer à vivre cette grâce communautaire et missionnaire au-delà des JMJ ? Jean-Paul II y exhortait :
 
« Dans la situation actuelle, les fidèles laïcs peuvent et doivent faire énormément pour la croissance d'une authentique communion ecclésiale à l'intérieur de leurs paroisses et pour éveiller l'élan missionnaire vers les incroyants et aussi vers ceux, parmi les aoyants, qui ont abandonné ou laissé s'affaiblir la pratique de la vie chrétienne » 1.

Cette énergie que nous avions mobilisée pour l'accueil des jeunes de ces pays lointains ne pouvait-elle pas l'être également pour l'évangélisation de notre propre quartier ? Il y a ici aussi un grand champ à moissonner. Mais comment faire ?
Avec les paroissiens, nous avions Uavaillé la lettre des évêques aux catholiques de France : Proposer la foi dans la société actuelle (1996) 2. Elle soutenait noue élan, donnait des pistes et des ouvertures. Cette lettre, on s'en souvient, évoquait la crise généralisée de la transmission des valeurs et de la foi dans notre société, mais elle constatait en même temps les demandes croissantes d'initiation à la foi chrétienne chez les adultes. Les catholiques de France étaient donc invités à oser proposer la foi : « Nous avons à accueillir le don de Dieu dans des conditions nouvelles et à retrouver en même temps le geste initial de l'évangélisation, celui de la proposition simple et résolue de l'Evangile du Christ. » Pour cela, plusieurs orientations étaient indiquées, dont celles-ci :
 
Favoriser, à l'intérieur de nos communautés, la communication de la foi et de l'expérience chrétienne entre tous. « Nous ne serons crédibles aux yeux des autres que si nous avons appris ou réappris nous-mêmes en quel Dieu nous croyons et ce qu'il fait pour nous. »
• « Concentrer cette proposition de la foi sur le mystère du Dieu fait homme pour notre salut. »
• « Inviter ceux qui le veulent à accepter et reconnaître Jésus Christ comme le Seigneur et le Maître de leur vie », et ce « par un acte personnel d'adhésion ».
• Enfin, se préparer aux changements nécessaires dans nos communautés pour accueillir ces nouveaux croyants. Pour mettre en oeuvre cette proposition de la foi dans la société actuelle, les évêques invitaient à s'inspirer de ce qui se passe ailleurs et à être en lien avec les autres Eglises : « Nous avons sans cesse à pratiquer "l'échange des dons" avec ces auttes peuples (Europe, Afrique...) dans le domaine "de la foi vécue et proposée" (...) Nous sommes certains que le projet de la lettre et son contenu concernent aussi nos frères et soeurs des Eglises protestantes et orthodoxes », en raison « de noue responsabilité commune d'annoncer l'Evangile du Christ dans la société qui est la nôtre ».
Enfin, la conclusion ouvrait sur l'inattendu : « Nous savons bien qu'aucun projet pastoral ne saurait nous faire oublier que Dieu tient toutes choses entre ses mains, que ses dons sont totalement gratuits et qu'il a toujours la liberté de nous surprendre, en ouvrant des voies que nous n'avions même pas imaginées. »

Le cours Alpha


Cette lettre s'est avérée prophétique et nous préparait à l'accueil de l'inattendu. Début 1998, nous recevions la visite d'un couple d'Angleterre : Charles et Felicity Hadley (membres de la communauté du Chemin Neuf). Charles est prêtre anglican, responsable d'une paroisse rurale à deux heures de Londres. Tous deux ont évoqué avec noue équipe pastorale leur expérience d'évangélisation locale. Elle consistait en une série de dix soirées hebdomadaires, associant la convivialité, une proposition de la foi, des groupes de discussion et un week-end de retraite spirituelle. Nous avons voulu en savoir plus sur chacun de ces aspects :
 
• La convivialité : les soirées commencent par un repas préparé et servi par les paroissiens.
• La proposition de la foi : les exposés sont centtés sur le mystère du Christ mais adaptés à une première évangélisation. En voici les thèmes : « Qui est Jésus ?» « Pourquoi Jésus est-il mort ?» « Comment être sûr de sa foi ?» « Pourquoi et comment lire la Bible ? » « Pourquoi et comment prier ?» « A propos du Saint-Esprit » « Comment Dieu nous guide-t-il ?» « Comment triompher du mal ? » « Pourquoi et comment en parler à d'autres ?» « A quoi sert l'Eglise ? » C'est une première annonce qui appelle une réponse de foi, plus qu'une catéchèse systématique Ces enseignements sont donnés par un prêtre, un pasteur ou des laïcs.
• Les échanges entre participants donnent l'occasion de poser toutes questions et d'exprimer tous griefs dans des petits groupes de dix à douze personnes animés par trois ou quatre paroissiens. Les personnes sont rattachées au même groupe pendant les dix semaines, mais elles sont libres de leur participation pour chaque soirée.
• Au coeur du parcours est organisé un week-end de rettaite spirituelle (et de détente !) au cours duquel est proposé un acte personnel d'adhésion au Christ et d'accueil du don de l'Esprit Saint. Ces cours s'adressent aux personnes en recherche, aux incroyants, aux croyants non pratiquants, aux pratiquants occasionnels, aux recommençants dans la foi et aux nouveaux arrivés sur une paroisse.
Ce sont les paroissiens qui ont la mission de les inviter et de les accueillir, mais aussi d'intercéder pour chaque personne et chaque aspect du cours.
Depuis quatte ans, Charles et Felicity se réjouissaient des nombreux fruits produits dans leur village. Ils avaient repris cette pédagogie de la paroisse anglicane Holy Trinity Brompton de Londres qui l'avait mise en place dès les années 80 sous le nom de « cours Alpha ».
 

La mise en oeuvre


Le consensus de notre équipe pastorale pour un tel parcours nous est apparu un signe de l'Esprit. L'écho fut favorable au sein du conseil pastoral et auprès de noue évêque. Nous avons donc décidé de mettre en oeuvre ce cours. Pour cela, nous avons sollicité l'équipe qui avait été au service des JMJ, élargie à d'autres personnes concernées par cette démarche d'évangélisation locale.
En octobre 1998, neuf mois après la rencontre avec Charles et Felicity, naissait donc à Saint-Denys de la Chapelle le premier cours Alpha de l'Eglise catholique de France (il en existait depuis quatre ans dans les églises protestantes). A nouveau, nous mettions en oeuvre les six dimensions identifiées dans la primitive Eglise et expérimentée aux JMJ. A noue grand étonnement, nous nous sommes rettouvés 120 (45 serviteurs et 75 participants) lors de la première soirée ! En un peu plus de deux ans, 200 personnes du quartier ont suivi régulièrement le cours et 80 ont assisté à quelques soirées sans poursuivre jusqu'au bout.
Cette pastorale de la proposition, cette dynamique missionnaire, a fait grandir la foi et l'expérience communautaire des serviteurs qui s'y sont engagés. La proclamation de la Parole à ceux qui cherchent se fait donc maintenant davantage au coeur d'une communauté locale qui donne à voir et à vivre ce qu'elle annonce. Quelle joie d'être témoins de conversions au Christ de personnes auparavant loin de l'Eglise, et ce, non pas dans des centres de retraites lointains ou au cours de grands rassemblements (si utiles, par ailleurs), mais localement, au sein même de la paroisse et du quartier ! C'est toute la mission chrétienne locale qui a repris sens.
Le cours Alpha nous a aussi donné l'occasion d'« évangéliser » les demandes sacramentelles. Nous proposons le cours aux couples qui se préparent au mariage, à certains parents à l'occasion de la demande de baptême pour leur petit enfant, aux pré-catéchumènes, et même aux personnes exprimant une recherche spirituelle à l'occasion de la préparation de l'inhumation d'un proche. Ainsi, les demandes sacramentelles, au lieu d'êtte marquées par le décalage entre le désir exprimé et le mystère célébré, deviennent occasions d'évangélisation et de rencontre du Christ pour ceux qui, en dehors de ces demandes, n'auraient vraisemblablement pas eu de contact personnel avec la communauté chrétienne Nous avons aussi débuté un cours pour les parents pendant le temps du catéchisme du mercredi matin...
 

Ces nouveaux croyants qui nous transforment


« Dans le domaine de la liturgie et dans bien d'autres encore, une véritable réappropriation de la tradition catholique est devenue nécessaire afin que nos communautés sachent faire place aux nouveaux venus à la foi » 3. Au terme d'un ou deux parcours Alpha (le deuxième étant en service), les personnes d'origines diverses qui avaient fait la rencontre du Christ dans un climat fraternel, « nourrissant » et spirituel, ont spontanément cherché à retrouver ces différents aspects de la vie chrétienne dans la vie ordinaire de la paroisse. Ainsi, toute la paroisse fut concernée et interpellée Nous ne pouvions pas seulement proposer à ces nouveaux chrétiens la participation aux offices, un service paroissial ou social, une mission ou la poursuite de leur formation, mais il nous fallait proposer ces différentes dimensions articulées les unes avec les autres. Nous invitons de plus en plus les équipes d'animation qui intègrent ces « nouveaux » à prier et partager ensemble, en veillant à nourrir spirituellement la mission ou le service de chacun, sans négliger la convivialité. Nous cherchons aussi à intégrer dans la liturgie des modes d'expression appartenant aux différentes cultures de ces nouveaux croyants.
En France, il semble qu'un tiers des baptisés adultes s'intègrent bien dans l'Eglise après leur baptême, un autre tiers ne garde qu'un lien épisodique, et le dernier tiers n'en garde aucun. L'évangélisation par la communauté chrétienne locale et l'évolution communautaire de la paroisse ont favorisé l'intégration des nouveaux baptisés et des « recommençants » en leur offrant de vivre dans la durée ce qu'ils avaient expérimenté dans leur temps d'initiation. Enfin, notre joie est grande de voir ces nouveaux croyants désirer faire à leur tour découvrir le Christ à d'autres et d'avoir le cadre pour le faire.
Nous avons souvent eu l'occasion de partager cette pédagogie d'évangélisation avec d'auttes paroisses catholiques mais aussi réformées, luthériennes, évangéliques et baptistes, car le fonds de cette première annonce du Christ est le même pour toutes les Eglises, comme est commun notre Credo.
Aujourd'hui, il y a plus de 150 cours Alpha en France. Un bureau (Alpha France) s'est créé pour soutenir la formation et Uavailler à la coordination 4. Trois évêques ont été désignés pour accompagner la mise en oeuvre d'Alpha en milieu catholique, en lien avec l'expérience initiale anglicane de Londres. Ce cours à été présenté avec d'autres initiatives pastorales à la rencontre des 2000 membres des conseils pastoraux de Paris présidée par Mgr Lustiger en janvier 2001. Il est aussi donné dans 16 000 autres paroisses ou communautés chrétiennes dans 110 pays.
 
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Au début de ce nouveau millénaire, Jean-Paul II nous invite à avancer en eau profonde, au large : « Puisse Jésus ressuscité, lui qui fait route avec nous comme avec les disciples d'Emmaùs (...), nous trouver vigilants et prêts à reconnaître son visage pour courir vers nos frères et leur communiquer la grande nouvelle : "Nous avons vu le Seigneur !" (/n 20,25) » 5. Nous ne sommes qu'au début de cette aventure mais elle nous construit de l'intérieur en même temps qu'elle nous donne de partager avec nos proches ce que nous avons de plus cher.



1. Christi fidèles laia, 1988.
2. Cf pp 15, 24, 36-37, 52, 76, 81, 100, 105
3. Idem, p. 105
4. Contacts Alpha Saint-Denys 01 46 07 35 52 (le jeudi), st denys pansl8@worldonehne Ou Alpha France 01 39 70 51 14 , contact® alpha-France org
5. Au début du nouveau millénaire, 59