Si la résurrection du Christ a sens pour nous, ce sens fonde une espérance qui commence à se réaliser, dès maintenant, dans notre existence. Les deux questions sont liées : intelligence de la foi et existence selon cette foi. Y répondre suppose que nous réfléchissions d'abord à ce qu'est notre corps.
 

Le corps et l'esprit


Extirpons un préjugé. Notre corps n'est pas seulement une chose extérieure, comme si l'intériorité était à placer ailleurs : dans la conscience, la pensée. De cette représentation bien sommaire du corps comme chose et rien que chose, s'ensuit généralement cette idée que le divin est censé se manifester seulement dans l'intérieur de la pensée, à la rigueur dans les formes les plus nobles du sentiment, mais certainement pas dans les choses sensibles, le monde ou notre corps. On va même volontiers jusqu'à juger que seul un sens religieux médiocre et grossier imagine des manifestations du divin dans la réalité matérielle. Selon certains, le christianisme n'aurait pas échappé à de tels errements, et cela depuis saint Paul, qui aurait mêlé à la pureté de la prédication de la Parole d'assez grossières histoires d'apparitions. Il aurait ainsi fallu attendre notre vingtième siècle et quelques-uns de ses exégètes les plus célèbres pour retrouver la pureté de la foi.
En fait, cette manière de voir est parfaitement erronée et à rebours de ce que les meilleurs, chrétiens ou non, ont essayé de comprendre et de dire, au moins dans les périodes les plus vigoureuses de l'expérience religieuse et de la pensée. Artistes, mystiques — et quelques philosophes aussi — ont compris et tenté de nous faire comprendre que la vérité, en ses formes les plus hautes et les plus exactes, dépasse les oppositions et contradictions selon lesquelles nous existons dans le monde. Oppositions qui tiennent à notre condition dans l'espace et le temps : l'intérieur et l'extérieur, l'intelligible et le sensible, la vie corporelle et la vie spirituelle, etc. Nous existons bien dans des conditions marquées par ces oppositions-là, qui deviennent même souvent des contradictions pénibles ; mais, en même temps, nous sommes toujours en route, si nous le voulons bien, vers quelque avenir où pourrait se révéler une certaine unité des contraires, à la fois simple et mystérieuse. Ainsi, le prophète Isaïe (11,6-8) évoque ces temps messianiques de réconciliation et de paix où vivent en bonne entente des êtres qu'on n'a pas l'habitude de voir ensemble :
 
« Le loup habite avec l'agneau,
la panthère se couche près du chevreau,
veau et lionceau paissent ensemble sous la conduite d'un petit garçon.
La vache et l'ourse lient amitié.
Le nourrisson s'amuse sur le ttou du cobra,
sur le repaire de la vipère l'enfant met la main. »

Et pourquoi le corps ne serait-il pas le rayonnement de l'esprit et
l'esprit la réalité même du corps ?
Nous sommes d'ailleurs déjà constitués selon cette unité commençante : corps physique vivant et d'autre part intelligence et volonté, nous sommes affectivité et imagination, c'est-à-dire unité du corps en sa réalité la plus charnelle et de l'intellect en ses abstractions les plus universelles. Les trois se recouvrent : corps physique, corps animé par un psychisme, intellect (intelligence et volonté). Leur unité commençante, c'est précisément notre esprit en train de devenir lui-même. L'esprit n'est pas à mettre du côté de la pensée plutôt que du côté de la chair ou de l'affectivité. Il ne cesse de ressaisir ces trois aspects de nous-mêmes, de se faire en eux et par eux, et de les faire ce qu'il est ; comme, à l'inverse, il est conditionné par eux.
Il n'en demeure pas moins que nous vivons dans les oppositions que nous avons dites. Elles sont d'ailleurs d'une grande importance : c'est grâce à elles que nous pouvons devenir ce que nous sommes. Ainsi, sans cette opposition majeure entre nous-mêmes, comme sujets conscients qui pensent et travaillent, et le monde ambiant en face de nous, nous serions, comme les animaux, immergés dans la nature, parcelles de vie dans le vaste mouvement de la vie. C'est parce que nous pouvons prendre du recul par rapport à noue monde et, jusqu'à un certain point, le fixer sous notre regard, que nous pouvons le transformer par le travail et l'aménager en monde humain, nous faisant en même temps nous-mêmes un peu plus hommes parmi les hommes.
Mais il convient de ne pas considérer cette situation comme un absolu. Peut-être venons-nous d'une situation antérieure où nous étions davantage un avec toute chose : l'enfant dans le sein de sa mère, ou même après la naissance, avant que sa conscience ne se fortifie. En tout cas, à considérer la direction que nous indique le prophète Isaïe, et, tout aussi bien, à leur façon, les poètes, les peintres, les saints et quelques autres, il semble bien que nous soyons destinés à connaîtte, au moins un peu, si nous le voulons, une existence plus unifiée de l'esprit et du corps, dans une certaine communion avec les choses et avec les autres. C'est dans cette direction que tend le meilleur de nos efforts ; et c'est cette pleine unité qui est annoncée comme le don de Dieu par excellence.
Dans ces perspectives, nous allons maintenant évoquer notre corps dans ses conditions présentes et son devenir, qui est tout aussi bien l'histoire de notre liberté se faisant peu à peu dans le monde.
 

Les divers aspects de notre être corporel


• Tout d'abord, un corps est une chose lourde, opaque et qui sépare : il est là et impose des limites ; il est même plutôt un agrégat de limites.
Il m'enracine dans l'univers et me met en relation avec lui ; il est même ma relation avec celui-ci, monde physique et humain. Mais, par lui, je suis situé, délimité et déterminé. Je suis ici et non ailleurs, je suis garçon et non pas fille, ou l'inverse. En mon corps, j'éprouve que j'ai été fait par d'autres qui m'ont mis au monde ; et je continue, tous les jours, d'eue façonné par le monde ambiant.
On comprend qu'on ait pu appeler ce corps une prison : il est des heures où je subis très fort les déterminismes qui agissent sur moi par lui. Mais, à l'inverse, on éprouve aussi qu'un corps vivant est une maison très bien ornée, équipée et largement ouverte sur le dehors. Si bien que, pour les autres, je ne suis pas tant un prisonnier derrière ses barreaux qu'une présence expressive et active, pleine de charme parfois. D'ailleurs, l'anatomie du corps, sa vie interne et ses fonctions nous font comprendre combien cette chose pesante est, bien plutôt qu'un agrégat de matière, un foyer d'énergies puissantes et souples, une merveille d'équilibre toujours rompu et toujours reproduit, une unité qui s'exprime, se communique, agit. Cette masse de cellules vivantes soutient et nourrit des fonctions qui, à leur tour, développent une vie psychique par laquelle noue énergie vivante atteint les régions de l'affectivité supérieure, de l'intelligence et de la volonté où s'épanouissent nos actes libres ; ainsi se tissent peu à peu notre histoire personnelle et notre histoire sociale. A chaque instant, quelque chose meurt en nous, mais c'est le prix d'une naissance à plus de vie et de liberté.

• C'est ainsi que ce corps devient moyen de communiquer et d'occuper tout l'espace.
Par une éducation appropriée qui favorise et prolonge ses activités élémentaires, par un entraînement (le sport par exemple, mais aussi bien toute discipline requise par les compétences et les métiers les plus divers), il va réaliser des prouesses, celles du pianiste, celles de l'artisan qui manie son outil avec une maîtrise parfaite, celles de la mère qui soigne un nourrisson, celles de l'ingénieur...
Ce corps devient souple, fort et en même temps d'une légèreté bondissante — et bondir, c'est franchir ses propres limites —, tel le danseur qui traverse le plateau en deux sauts et occupe toute la scène ; ou encore cet avant-cenue d'équipe de football qui se uouve partout à la fois sur le terrain. Un minimum d'effort : un maximum d'effet. Une détente vive du pied, et la balle est à l'autre bout du terrain déjà renvoyée dans les buts. Et ce couple de patineurs sur glace ! Ils tournent, se croisent, se joignent et se séparent et se rejoignent encore : il l'enuaîne par une seule de ses mains ; elle se laisse soulever,rattachée à lui par un seul de ses doigts, elle vole ! Où sont-ils, ces deux corps qui deviennent comme une trajectoire immatérielle, un cercle qui se trace dans l'espace, une eau qui s'écoule, un pur mouvement ?
Quand ses énergies se déploient, un corps devient ainsi comme un outil qui se crée lui-même et se modifie à mesure. Mais il faut dire plus : un corps devient l'expression rayonnante de la vie, de la force, de la beauté, de l'intelligence qu'il est, à raison même de ce déploiement.
Moyen de communiquer : comme il apparaît dans le travail où le corps devient l'instrument vivant des désirs, des pensées et du vouloir. Par nos corps, nous créons un réseau illimité de communications : la parole, le geste, mais aussi le produit de nos travaux, les routes, les moyens de transports, toute une civilisation.
Expression rayonnante : comme dans la danse ; ou comme un tableau de maître, un Vermeer par exemple, dont les toiles resplendissent de lumière.
Et les deux ne font qu'un quand l'opération technique la plus réussie, où le corps aura été l'instrument souple et vigoureux, économe de ses moyens et très puissant dans ses effets, parviendra à la beauté d'un acte tout gratuit. Ainsi ce tir au but, qui achève une « descente » des équipiers, réalisée comme une danse.
Ce corps particulier, limité, s'universalise en déployant son activité comme au-delà de ses propres limites. Comme le danseur remplit la scène, les hommes par leur travail remplissent le monde de leur propre réalité corporelle. Tous les produits du uavail et de l'art, depuis la plume qui me sert à écrire ces lignes jusqu'aux fusées des cosmonautes, sont le prolongement des corps des hommes, ou mieux leur présence corporelle active, étendue à l'univers entier. A la limite, l'univers entier devient le corps des hommes. Mais, bien sûr, ce corps ne deviendrait pas cet universel si l'univers ne se trouvait déjà en l'homme le plus limité sous la forme des images et des pensées qui remplissent son esprit, et si, dans le travail et l'art, celui-ci ne consentait les plus durs sacrifices.

• Comment passons-nous de notre corps particulier à l'universalité (encore corporelle) de notre
existence agissante dans l'univers ? Par les décisions et les actes de ces sujets pensants et travaillants que nous sommes et qui consentent le rude sacrifice de leur petit monde particulier pour se retrouver avec les autres dans l'univers. Nous sommes des sujets singuliers, centres d'action et de réaction qui élaborent, en leur particulier, ces décisions et ces actes qui les ouvrent à l'univers et leur font réaliser un monde.

Nous avons ainsi dégagé trois notions remarquables, indispensables pour nous penser nous-mêmes comme êtres corporels :
• Je suis un corps particulier, fait par d'autres : mes parents, la société et l'univers physique lui-même. Et ces autres me rappellent à tout instant : tu es ceci et tu n'es pas cela. Une négation est ainsi exercée sur moi, qui ne vient pas de moi.
• Par contre, comme sujet singulier qui me décide par moi-même, j'ai ce pouvoir de la négation ; je me décide et ainsi me limite, consens à des sacrifices ; et je travaille : j'exerce cette même négation sur ce qui n'est pas moi (et, tout autant, sur moi-même).
• Quant à l'universel, il est l'ensemble interhumain que nous créons et dans lequel nous nous mouvons ; et, sous cet aspect, il est passif. Mais, en même temps, il est actif : comme univers physique et humain, il exerce une action transformante sur tous et chacun, et c'est lui qui leur donne de penser, de décider et d'agir. Si l'univers et la société n'étaient pas déjà là, nous ne serions pas ; et s'ils n'étaient déjà en nous, sous la forme des sentiments, des images mentales et des pensées, nous pourrions sans doute agiter dans le monde notre petite particularité, tel un insecte rapidement dévoré par le grand tout, mais nous ne pourrions pas l'utiliser et la dépasser pour réaliser une oeuvre. Une oeuvre de la liberté.
 

Le corps du Christ ressuscité


Dans la résurrection, le corps est spirituel ; en lui et par lui se trouve réalisé le dépassement définitif des oppositions qui, dans noue condition de pécheurs, souvent se durcissent en d'éprouvantes contradictions. Le corps est alors esprit et l'esprit est incarné parfaitement dans la chair qui rayonne de sa splendeur. Nous confondons, à l'ordinaire, l'esprit et la pensée (la pensée abstraite que nous formons par notre intelligence). En réalité, cette pensée abstraite est bien le contraire de la réalité corporelle, mais, comme telle, elle n'est pas l'esprit.
Du corps spirituel, on ne peut se faire une idée qui ait son exact répondant dans la réalité actuelle atteinte par nos sens et dite au moyen des notions abstraites formées par notre intelligence. Nous ne pouvons pas dire positivement ce qu'est le corps spirituel, parce que , nous ne pouvons pas dire, directement, ce qu'est le dépassement effectif des conuaires dans lesquels nous vivons. Nous pouvons seulement le désigner par des analogies. Nous en avons employé quelques-unes, celle du danseur, par exemple, qui unifie si merveilleusement déjà les conuaires en occupant un large espace bien au-delà des limites de son corps. Ses mouvements ne cessent de nier ce qu'il est dans ses étroites limites pour l'accomplir dans l'univers de la danse. Pour penser le corps spirituel, il faut essayer de comprendre cette négation poussée à sa limite : c'est la mort qui nie mon être particulier, le sujet singulier que je suis, et même l'univers en tant qu'il était mon univers. Si cette mort est seulement subie, elle est pure destruction. Un corps roué de coups ne produit pas un danseur, alors même que, pour devenir un danseur, il faut consentir à supporter plus de courbatures que n'en procurera jamais la plus sévère correction. Consentir. La mort, comme sacrifice volontaire, est cette négation radicale par où l'on accède à l'univers de la résurrection, comme le plus rigoureux des entraînements fait accéder à l'univers de la danse.
Le seul qui soit mort par pur sacrifice volontaire, c'est le Christ ; il est donc le premier à eue entré dans la résurrection, il est même devenu le principe de la résurrection. Si nous concentrons noue attention sur la liberté du Christ qui consent à un tel sacrifice, nous comprendrons, pour autant que nous le puissions, ce qu'est la négation poussée à sa limite ; et, dès lors, toutes les analogies qui évoquent le corps spirituel seront éclairantes. Par sa mort, le Christ meurt à toutes les limites qui constituent un homme et à tous les péchés qui replient les hommes dans ces limites. Mais cet acte est volontaire ; il n'est donc pas l'abolition de ce qu'est le Christ comme individu particulier, il est au contraire l'expression la plus haute et la plus parfaite de cette individualité particulière se faisant universelle, principe de communication entre tout ce qui est (médiateur) et expression parfaite de la splendeur de Dieu dans un monde fini.
Le Christ qui meurt est l'acte parfait de l'obéissance et du sacrifice volontaire. Sa liberté est cet aae, et rien que cet acte. Le Christ, cet homme de chair et de sang qui porte les péchés du monde, passe intégralement dans cet acte ; il est cet acte, sans résidu aucun. Sa mort est donc résurrection commençante. Il ressuscite, c'est-à-dire que son être particulier corporel, bien loin d'eue disloqué, dissout et aboli, comme il arriverait par l'effet d'une mort naturelle seulement subie, se uouve exprimé et parfaitement accompli dans et par l'acte de son sacrifice. La mort de cet eue particulier est la manifestation la plus éclatante de sa vie ; il est révélé ici qu'il est la Vie. Son corps de résurrection n'est donc rien d'autre que l'accomplissement et l'expression parfaite de sa liberté : il est cette liberté devenue absolument elle-même et se manifestant pour ce qu'elle est. Son corps de résurrection est expression rayonnante de cette liberté ; c'est-à-dire qu'il est en même temps moyen de la parfaite communication entre tous, puisque l'acte de cette liberté consentant à la mort est l'acte de la mise en rapport de Dieu avec les hommes et des hommes enUe eux (médiation, réconciliation).
Nous retrouvons ici les deux notions par lesquelles nous avons défini le corps, dans la mesure où, par le travail, c'est-à-dire par le sacrifice (la négation exercée sur soi-même et sur le monde), il devient universel et même univers. Moyen de communication, expression rayonnante. Un tableau de Vermeer est rayonnant de lumière intérieure et fait ainsi communiquer les hommes avec la beauté. Couleurs lumineuses, formes de ce corps de femme assise devant une table ! Intérieur de lumière devenu extérieur, et auquel tous communient. Le Christ ressuscité est la liberté, la grâce — don du Père, qui, par la mort volontaire, a détruit toutes les contradictions et rendu effective, entre les hommes et avec Dieu, la communication, disons même la communion. Comme tel, le Christ est lui-même plus que jamais. Comment ne le serait-il pas ? La danse abolit-elle le danseur en le dissolvant dans l'espace, ou n'est-elle pas plutôt le danseur dans sa parfaite et stricte individualité particulière ?
Jésus n'est jamais plus Jésus de Nazareth que dans l'éclat de sa souveraineté universelle, le Seigneur, Principe de la vie et de l'universelle communication. Unité des conuaires 1.
 

La question de notre propre résurrection


C'est encore la même réflexion sur la liberté du Christ, et spécialement sur l'acte d'obéissance au Père dans le don de sa vie, qui permet de comprendre le sens du tombeau vide 2 et nous aide à poser correctement la question de notre propre résurrection.
Comme organisme vivant 3, notre corps croît, décroît et meurt. EnUe cette croissance et cette décroissance passent les énergies qui traversent toute l'épaisseur de noue psychisme jusqu'à l'intelligence et la volonté, bref jusqu'à la liberté qui, nourrie par elles, se réalise en une histoire déterminée : mon existence personnelle et sociale à telle époque, en telles régions. Cette croissance et cette décroissance sont la forme la plus élémentaire de ce qui se reproduit au niveau de ma liberté : celle-ci s'affirme et se renonce pour une plus haute affirmation de moi et de tous, ou, mieux, de moi par tous les autres (auxquels je me sacrifie) et des autres par moi. Mon être particulier, tant corporel que spirituel, n'est pas seulement du côté de cet organisme cellulaire voué à la décroissance et à la mort et qui, finalement, sous cet aspect de dégénérescence fatale, tombera en poussière comme un résidu. Mon eue particulier, tant corporel que spirituel, est tout autant du côté de ces énergies qui sont nées dans mon corps et qui par le jeu de la croissance et de la décroissance vont se réaliser en oeuvres de ma liberté dans une histoire, au prix de sacrifices volontaires.
S'il y a résurrection de mon être particulier, corporel, ce n'est pas la résurrection de ce résidu, c'est-à-dire de mon être corporel sous l'aspect où il ne serait pas passé dans les énergies qui ont nourri ma liberté et ses oeuvres. La résurrection m'atteint là où, à l'instar du Christ, j'ai consenti au sacrifice volontaire qui met ma particularité corporelle-spirituelle au service d'un monde à faire naître et grandir jusqu'à sa plénitude. Mais ce sacrifice volontaire, j'y consens en vertu de tout ce que je suis : corps, psychisme et intellect ; c'est dans les énergies montant du plus profond de mon être de chair et de sang que je puise la force élémentaire d'y consentir. Dès lors, il n'y a aucune raison que le jeu de croissance-décroissance, d'où sont sorties ces énergies, ne soit, en retour, pénéué à l'intime par la réalité de cette décision librement consentie de faire un sacrifice de moi-même. Dans cette mesure, le résidu dont nous avons parlé n'est pas seulement résidu : il est plutôt, partiellement au moins, holocauste 4. Ce qui, en d'autres termes, se dirait ainsi : on peut mourir de décrépitude, on peut mourir à la tâche. Fatalité de la nature d'un côté ; holocauste volontaire de l'autre.
Il n'y a pas à chercher à s'imaginer ce que peut être la résurrection d'un résidu de la décrépitude : il n'y en a pas. La résurrection ne peut eue que résurrection de l'holocauste. C'est pourquoi le seul qui se soit acquis par son entier sacrifice volontaire la résurrection pour lui-même (et pour toute chair en lui), c'est le Christ, celui en qui la mort a été pur holocauste, sans rien de la fatalité d'une décrépitude naturelle. Il n'y a pas de résidu dans sa mort, parce que son sacrifice volontaire a été si total qu'il a reflué sur le plus profond de son être corporel dont étaient montées toutes les énergies de sa liberté. Voilà pourquoi le tombeau est vide au matin de Pâques : « Il n'a pas connu la corruption. » Nous, par conue, qui avons péché et restons marqués par le péché dans tout ce que nous faisons, noue sacrifice volontaire est bien devenu possible et réel dans le Christ : nous mourrons dans le Christ, c'est-à-dire non par fatalité naturelle mais par décision volontaire et libre consentement. Toutefois, ce sacrifice n'est pas aussi parfait ni aussi radical que celui du Christ : à noue mort physique, il n'a pas encore atteint les dernières profondeurs de noue êtte. Aussi noue mort reste-t-elle en partie fatalité de la nature, que nous subissons. Sous cet aspect, elle comporte un résidu qui va à la corruption et se disperse dans l'univers.
Si nous nous posons la question de la résurrection de ce résidu en restant bloqués sur lui, nous sommes dans l'impasse : nous nous posons une question et nous nous enlevons les moyens d'y répondre. Il faut comprendre que ce qu'il y a de sacrifice volontaire dans notre mort commence d'eue atteint par la résurrection sur les lieux mêmes où nous consommons ce sacrifice. Quant à ce résidu qui n'est pas encore atteint par la résurrection, il est pour les auttes le signe que nous étions, chacun, un pauvre pécheur. Toutefois, la victoire du Christ sur la mort est si totale qu'aucun résidu ne lui échappe. Mais il faut attendre la fin pour voir cette splendeur de la résurrection ressaisir en elle toute chair mortelle jusqu'au dernier élément du monde.
Il y a des glands, il y a des chênes. Qui n'a vu que des glands ne peut pas se représenter un chêne : nous ne pouvons pas nous représenter noue corps de résurrection. Mais qui voit un chêne ne doit pas demander sous quelle forme particulière le gland subsiste en lui. Il n'y subsiste pas autrement que comme ce chêne.



1. Notre langage imagé ne doit pas tromper il cache des analyses théologiques précises relatives à la mort du Christ comme négation qui fait passer du monde clos, où celui-ci s'est incarné en revêtant une chair de péché, à l'universel de la communication (royaume de Dieu) Voir « La résurrection », NRT, n° 9, 1969, pp 1033-1037
2. La tradition qui atteste ce fait paraît solide Nous nous rangeons, sur ce point, à l'avis de Jean Delorme, La Résurrection du Christ et l'exégèse moderne, Cerf, 1969, pp 140-143
3. L'idée que nous allons développer nous a été suggérée par un article de Joseph Moingt, où elle se trouve d'ailleurs sous une forme différente « Immortalité de l'âme et/ou résurrection », Lumière et Vie, n° 21, 1972, pp 72-73
4. Nous prenons ce terme au sens stnct. sacrifice dans lequel la victime est entièrement consumée par le feu, en sorte qu'il n'en reste rien Le feu symbole de l'amour '