Les 3 et 4 décembre 2010 a eu lieu un colloque qui a rassemblé
70 personnes environ à partir de cet argument : « La réconciliation par laquelle deux personnes ou deux groupes rétablissent des rapports positifs
et paisibles après une rupture. Plus que la simple conciliation, plus même que le pardon, au-delà de la réparation de relations dégradées, la réconciliation avec autrui et avec soi est indispensable à notre unification et à notre paix intérieures. Rupture et réconciliation prennent forme dans de multiples couples de portraits bibliques ; Dieu s’y révèle comme le Réconciliateur. Le sacrement se donne comme le signe d’une relation nouvelle possible avec Dieu en Église. Aujourd’hui, des communautés ont pour mission de travailler à cette réconciliation de Dieu avec l’homme et des hommes entre eux. La réconciliation fait croître l’espérance. Nous nous approprierons le thème du numéro d’octobre 2010 de la revue Christus en le présentant dans une lecture critique et en faisant appel à divers champs de la réflexion et de la pratique. »

Pour ce faire, le film de Philippe Faucon, Dans la vie (2008), était projeté le 3 au soir, suivi d’un débat animé par le P. Jacques Lefur.
Le lendemain, la journée de réflexion, animée par Jean-Noël Audras s.j., réunissait Remi de Maindreville s.j., Bernadette Avon, conseillère conjugale, Moïse Mouton s.j., bibliste, Pierre Pasquini, professeur agrégé de philosophie, Geneviève de Taisne, psychanalyste, Anne Leborgne, professeur de droit civil à l’Université d’Aix-en-Provence.

Nous donnons à litre ci-après la lecture très fine du numéro « Se laisser réconcilier » qu’a faite Bernadette Avon :

 
« Se laisser réconcilier »

Le titre du dossier laisse entendre que le sujet qui se laisse réconcilier, adopte une certaine passivité, ou bien accepte l'action de quelqu'un d'autre, accepte de ne pas être l'acteur, le maître de la situation ; d'où peut-être la nécessité d'une certaine humilité. Et puis surtout, il laisse entendre la nécessité d'une médiation. En effet, il ne paraît pas possible de passer d’une la situation de conflit à une situation de réconciliation sans médiation. Médiation qui peut être quelque chose, un événement ou quelqu'un, une personne… Il m'a semblé que c'était là toute la pointe du dossier : percevoir et reconnaître cette nécessité de la médiation et découvrir qui ou ce qui faisait médiation. Par contre, la question de savoir pourquoi cela fonctionne reste ouverte.

Quelques impressions générales

Un dossier d'une grande densité : 11 articles avec pour auteurs 4 femmes et 7 hommes. Si je nomme les femmes en premier, c'est que trois d'entre elles ouvrent la marche.
• Un dossier qui alterne ou mêle l'enracinement dans le concret et la réflexion d'ordre spirituel, qui montre l'homme dans sa finitude, dans ses limites, mais aussi dans son aspiration au dépassement de soi pour atteindre à sa vraie stature qui, pour le croyant, est de participer à la vie même de Dieu.
• Au milieu du dossier, une jolie surprise et comme l'occasion d'une pause, d'une respiration, avec l'article sur le rôle du notaire. Il nous invite à réaliser que, bien que faisant partie du comportement de l'homme, le conflit n'est pas une fatalité, on peut intervenir avant qu'il naisse.
• Une mention spéciale aussi pour l'illustration proposée en tête de dossier et reprise au milieu : la photo du pont de Mostar. Détruit en 1993 et reconstruit en 2004, il scelle la réconciliation entre la Croatie et la Bosnie-Herzégovine.

1er article : « Du rêve à la réalité »

Magnifique article que celui de Nicolle Carré qui ouvre le dossier ! En cherchant à mieux connaître l’auteur, on saisit d'autant plus la puissance de ce qu'elle y exprime.
Nicolle Carré est psychanalyste, déçue par le christianisme, elle a suivi pendant quinze ans l'enseignement d'un maître hindouiste jusqu'à Noël 1989 où elle redécouvre le christianisme. La suite pour elle, c'est l'expérience de la maladie : une leucémie foudroyante la conduit à s'interroger sur ce qu'est la vie quand la mort se fait toute proche. Elle va vivre cela avec son mari dans une seconde « lune de miel amer », elle apprend « à vivre en apprenant à mourir ». À vivre un apaisement de sa peur de la mort en entrant dans le mystère du don.
Le désir d'un grand nombre de personnes au moment où la mort se fait proche, dit-elle, est de se réconcilier. En effet, l'unique demande qui constitue l'être humain arrivant consciemment au bout de sa route est d’aimer et d’être aimé, mais pas à n'importe quel prix. Il s’agit d’un amour qui a besoin de vérité, donc de passer par la parole pour que la réconciliation soit possible. Réconciliation dont a besoin autant celui qui part que ceux qui restent.
Pourquoi veut-on tellement se réconcilier ? Pour mieux vivre ! Ou bien, comme dit l'éditeur Robert Laffont, « pour aider la vie » . Mais encore faut-il ne pas se tromper de réconciliation, car il y en a de fausses, qui proviennent d'un consensus mou. C'est une illusion de croire que l'on peut supprimer la souffrance. Cela conduit à des désirs de réconciliation pour apaiser sa propre blessure : besoin de l'autre pour sa sécurité. Volonté de puissance masquée. Vouloir vivre en l'absence de conflit. L'absence de conflits n'est pas la paix. C'est la peur qui nous conduit à un consensus mou, qui nie la réalité, qui nie l'offense faite ou subie qui nous conduit par exemple à dire : « Il vaut mieux en rester là ! » « Ce qui est grave, ce ne sont pas nos désaccords, mais ce qu'on en fait ! » « Le pire, d'ailleurs, n'est pas la colère, mais le ressentiment » .
Autre position redoutable : le refus de la réconciliation. Constat terrible : le conflit fait partie de la vie humaine, « les déséquilibres qui travaillent le monde prennent racine dans le cœur de l'homme ». C'est bien là que naît la jalousie, l'idée que « rien ne nous a été donné si la vie ne nous a pas été donnée telle que nous la voulons » ! Se réconcilier, c'est changer de vie, croire que quelque chose de bon peut sortir de l'autre, et aussi oser croire en soi, « exister en tant que soi-même ». Pour Nicolle Carré, ce besoin de réconciliation est lié au besoin d'avoir une place unique dans le monde des vivants .
Alors comment faire ? En faisant un apprentissage :
• Apprendre que la réconciliation doit être un gain qui, en réparant le passé, ouvre un avenir. Elle « n'est pas un moment du temps mais une façon de vivre », un « processus », une marche en avant, basé sur la confiance dans le don de la vie fait à tous.
• Oser s'appuyer sur nos limites, non pas pour sombrer dans la haine, mais comme levier de notre désir d’« aller au large » en voyant l'autre comme autre.
Une question vient alors : n'y a-t-il que le croyant qui soit capable de bâtir la paix en lui et autour de lui ? Réponse de Nicolle Carré : « Je crois que qui que nous soyons, nous sommes appelés à croire. Seuls, nous ne pouvons rien. […] Croyant en Dieu ou n'y croyant pas, la vie nous est donnée et confiée, l'autre nous est confié… comme nous lui sommes confiés. » Pour nous réconcilier, il nous faut croire que ce qui nous lie est plus fort que ce qui nous sépare : « La réconciliation passe donc par le pardon et le dépasse. […] Acceptation des blessures, passage par une mort, appel à ne pas s'arrêter. »

2e article : « Bienheureuses inimitiés. Les conflits irréductibles ont-ils une fin ? »

Acceptation des blessures, passage par une mort, appel à ne pas s'arrêter… Il y aurait donc, comme semble l'affirmer le second article, des « inimitiés bienheureuses ». Il questionne tout de même dans son sous-titre : « Les conflits irréductibles ont-ils une fin ? »
Noëlle Hausman, l’auteur, est religieuse du Saint Cœur de Marie, professeur à l'institut d'Études théologiques de Bruxelles, directrice de la revue Vie consacrée nous donne là un article difficile, voire sombre.
Elle questionne : Pourquoi faut-il vouloir guérir ? Pourquoi la réconciliation serait-elle désirable ? Difficile de trouver des réponses positives devant les constats d'impossibilité ou d'irréductibilité que l'on peut faire.
Noëlle Hausman ne traitera ni de l'innommable crime contre l'humanité, ni des faits de violence dont la vie monastique d'Occident (comme d'Orient) garde des traces. Mais il sera question de conflits nés dans le christianisme, surgis, entretenus au nom de Dieu, car depuis que les hommes cherchent Dieu, parlent de Dieu, ils se sont régulièrement entredéchirés en son nom ! Et les événements récents que nous connaissons montrent que c'est toujours d'actualité ! « Pourrait-on croire décemment demande-t-elle, que certains conflits irréductibles procèderaient en fait de l'Esprit Saint ? Mais sans cela, comprend-on encore quelque chose à la Passion ou même à la Gloire du Sauveur ? »
Il faut donc repartir du Christ, car c'est l'appel de Jésus qui fait la communauté des siens ; son enseignement qui établit les croyances ; sa présence qui mesure les divers engagements ; son autorité qui trace le chemin à suivre.
Lorsque les choses se gâtent par la suite, c'est en raison des hostilités extérieures et des trahisons intérieures. Mais c'est Jésus qui fait problème. Et le leader peut devenir bouc émissaire. Combien de fondateurs d'ordres religieux ont connu une telle situation (voir François d'Assise, par exemple) ! La survie de la communauté se fera au prix de l'éloignement du chef, de sa solitude, de son effacement, sinon elle périra.
« Pourquoi donc faut-il que l'apaisement du conflit nécessite la violence ? » Là non plus les réponses ne sont pas satisfaisantes. On demeure dérouté et plus encore à propos de la Passion du Christ, car ici le conflit n'est pas l'enjeu véritable de la vie du groupe. Pour le Christ, « l’Unique », dit-elle, il s'agit « de traverser par plus d'abandon, la violence que chacun exerce sur les autres ».
L'auteur prend ensuite deux exemples dans la vie des ordres monastiques. Soulignons le premier. Il rappelle le conflit entre Nicola Doria et Jérôme Gratien, dans le contexte de la Réforme thérésienne au XVIe siècle : Gratien mourra exclu de l'ordre, dont il a été le premier provincial, par Doria qu'il avait proposé à sa succession. Auteur de lignes héroïques sur l'amour des ennemis, Gratien a cependant préservé « l'obligation de se défendre pour honorer la vérité » (on ne peut laisser dire et colporter n'importe quoi !). Pour nous, cela ne manque pas de faire écho avec la réaction de Jésus lorsque le serviteur du grand-prêtre le frappe, l'accusant de blasphème : « Si j'ai mal parlé, témoigne de ce qui est mal ; mais si j'ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » (Jn 18,23).
« Le glaive de la division passe entre les personnes ou en elles » (Lc 2,35), rappelle Nicole Hausman en conclusion, car « la mystique chrétienne vise à la ressemblance divine, par les chemins que Dieu permet ». Pas facile à admettre…

3e article : « Renoncer à la vengeance. Daratt – Saison sèche »

Peut-être peut-on voir une très belle illustration de ces « bienheureuses inimitiés » dont on vient de parler, avec cet article. Qu'est-ce donc ou qui donc va conduire Atim, l'orphelin à dépasser le devoir de vengeance dû à son père ?
Natalie Héron, professeur de lettres et membre du comité de rédaction de Christus, nous offre là un remarquable aperçu du film. On est engagé à le voir pour goûter toute la richesse du message.
Le réalisateur, Mahamat-Saleh Haroun, a voulu, selon ses propres paroles, « tendre une sorte de miroir à toute la communauté tchadienne pour réfléchir sur cette violence qui traverse la société depuis si longtemps ». Il dit encore de son film qu'il est une « petite bougie allumée dans le noir du Tchad », le noir de la guerre civile.
Natalie Héron pose les questions fondamentales que soulève l'intrigue : Comment continuer à vivre après tant de violence et de morts lorsque justice n'a pas été rendue ou reste inexistante ? Peut-on décider et imposer la paix ? Peut-on faire justice soi-même ?
J'y ajouterai : comment être fidèle au devoir de mémoire, à la nécessité de faire justice, tout en découvrant un désir-devoir de pardon qui seul ouvre vraiment un avenir ?
Le contexte : tandis qu'une annonce officielle est faite à la radio d'une amnistie générale pour tous ceux qui ont commis des violences durant la guerre civile, un grand-père aveugle remet un pistolet à son petit-fils Atim (l'orphelin) pour venger son père, tué avant sa naissance. Le garçon retrouve Nassara l'assassin, qui a lui-même été victime de la violence : pendant la guerre civile, on a tenté de lui trancher la gorge durant son sommeil, ce qui fait que lorsqu'il parle, il doit utiliser une sorte de microphone pour se faire entendre. Nassara est devenu boulanger et un boulanger généreux, qui pratique l'aumône. Ignorant qui est vraiment Atim, il le prend comme apprenti. Les relations sont difficiles, mais très riches, au point que Nassara, dont la jeune femme a perdu l'enfant qu'elle attendait, désire adopter Atim.
Et là, Atim butte. Que faire ? Comment peut-il encore obéir au devoir de vengeance alors qu'il a vu Nassara souffrir, physiquement d'abord (le boulanger se blesse puis se fait un tour de rein), psychologiquement ensuite (perte de l'enfant, conscience que ses voisins ne l'aiment pas). Atim décide de partir, mais Nassara s'obstine dans son désir d'adopter Atim et le conduit lui-même chez lui pour obtenir l'autorisation d'adoption. Et là, il découvre qui est vraiment Atim lorsque que celui-ci va devoir faire justice. Mais Atim tire en l'air, dépassant le devoir de vengeance en refusant librement de l'exécuter. Le garçon sort du cercle infernal de la violence et s'en va avec son grand-père, laissant Nassara face à lui-même. Par là, Atim est devenu un homme et sa main n'a pas tremblé, comme il le dit lui-même à son grand-père.
Natalie Héron conclut sur le rôle de messager tout à fait extraordinaire de l'art cinématographique en rappelant la réflexion d'un des personnages du premier film d'Haroun, Bye bye, Africa : « Tu aurais dû devenir docteur, dit le personnage, Tu aurais pu soigner ta mère. Docteur, c'est important ; mais le cinéma à quoi ça sert ? » Haroun nous le montre, dit-elle, et de manière universelle !


4e article : « La médiation du serviteur. Sur Isaïe 52,13–53,12) »

Si le cinéma apparaît comme un moyen universel de transmission de message, la Bible l'est aussi, au premier chef, et depuis bien plus longtemps. Le personnage d'Atim montrait qu'avant même de suggérer une réconciliation, il fallait d'abord renoncer à la vengeance, mais qu'est-ce qui permet de renoncer à la vengeance ? Qu'est-ce qui fait médiation ? Ou bien qui fait médiation ? Ou bien qui est médiateur ? La figure du serviteur souffrant du second Isaïe nous donne l'occasion d'y réfléchir.
L'auteur : Yves Simoens est jésuite, professeur d'exégèse biblique, enseignant d'Écriture Sainte aux Facultés jésuites de Paris (Centre Sèvres) et à l'Institut Biblique Pontifical de Rome.
• Il rappelle d'abord qu'à propos de la médiation, « la Bible entretient l'embarras du choix » depuis l'Écriture elle-même comme médiation entre l'homme et Dieu jusqu'au Christ affirmé par le croyant comme l'unique médiateur. Cependant, son choix s'est porté sur le « serviteur souffrant », car ce texte « récapitule et anticipe beaucoup d'autres textes ». On le situe à partir de l'expérience, fondamentale pour Israël, de la sortie d'Égypte et dans le contexte probable du retour de l'exil à Babylone : quelqu'un parle, non désigné, mais qu'on devine être le Seigneur lui-même, à la tête de son peuple.
• L'objet de l'action divine : la justice, la conversion, le rassemblement du peuple que le Seigneur, fidèle à son alliance, cherche toujours à retrouver malgré toutes ses transgressions. Le Seigneur est lui-même « en tête des médiations », « il en est le fondement parce qu'il en est l'auteur », mais la main du Serviteur est son instrument.
• Victime silencieuse, ce serviteur l'est totalement, mais comme pour Gratien tout à l'heure, il est fait droit à la vérité de son innocence, en particulier dans la quadruple valorisation dont il bénéficiera : « [Il] prospèrera, il grandira, s'élèvera, sera placé haut » (Is 52,13). Mais justice rendue pour plus tard, par le maître qui l'a envoyé. Pour l'heure, on ne voit que le drame de son état présent : « Il n'avait plus figure humaine, et son apparence n'était plus celle d'un homme » (52,14). C'est à travers le silence du serviteur que se fait le travail de médiation, « un silence approprié » qui va rendre possible la conversion. Au lieu d'être accusateur, le serviteur silencieux permet aux témoins de se reconnaître pécheurs . Par sa mort acceptée, il devient l'instrument du pardon et de la purification en tant qu'il donne la connaissance qui permet l'aveu : « Ce sont nos souffrances qu'il portait et nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous le considérions comme puni, frappé par Dieu et humilié. Mais lui, il a été transpercé à cause de nos crimes, écrasé à cause de nos fautes » (53,4-5).
• L'office de médiation expose à l'incompréhension et au rejet aussi bien pour le serviteur que pour ses témoins qui ont pris la parole. Et d'autant plus lorsque le médiateur est ainsi broyé et détruit et qu'à travers une telle situation, il assure la guérison de tous. Et plus encore, dans l'histoire, Dieu se solidarise avec cette épreuve au point d'en être broyé le premier.
L'intérêt d'un tel texte, nous dit Yves Simoens tient à deux choses : 1. À la transformation du culte sacrificiel. Désormais, plus d'offrande de bestiaux et autres volailles, mais offrande de soi-même, par amour, parce que seul l'amour purifie et sanctifie. 2. À la mise en rapport de la souffrance avec le péché, car « le péché rend compte d'un aspect de la souffrance ». Mais par la médiation du serviteur, pas de culpabilisation, il s'agit même de s'en délivrer. Le péché est perçu à travers les ravages qu'il opère sur l'innocent serviteur qui en libère.
Mais qui est donc ce serviteur ? Un personnage réel, une grande figure de l'histoire d'Israël, un saint inconnu dont on aurait perdu la trace ? Ou bien une figure de l'avenir, un portrait ébauché du Roi-Messie ? Une figure idéale, dans l'espoir que viendrait un jour celui qui serait capable de donner sa vie pour les autres de telle manière que cette offrande soit acceptée pour le salut du monde ? Yves Simoens parle d'une personne dont la portée est collective, à la fois un individu et une communauté. Figure en attente de son accomplissement. Pour le christianisme, le serviteur souffrant est préfiguration du Christ .
Ici enfin, aucune prétention à résoudre la question de l'origine du mal, « seule s'impose la résistance au mal avec la lumière dont on dispose ».


5e article : « Prévenir tout litige. Le rôle du notaire »

Après un cheminement d'une telle densité, on avait besoin de marquer le pas. L'occasion nous est donnée à travers l'interview à la fois surprenante et très intéressante de maître Jean-Gabriel Tamboise, notaire à Lille. Surprenante, car elle révèle une manière peu courante de percevoir l'exercice de la profession de notaire.
Chacun sait que le notaire est d'abord l'homme du contrat, c'est-à-dire celui qui est chargé de trouver les solutions les mieux adaptées sur le plan juridique et fiscal pour les parties contractantes, et qu'il a une mission d'ordre public car en garantissant l'authenticité d'un acte, il garantit la sécurité des parties. Mais réalise-t-on à quel point il est l'homme du conseil, de la négociation, qui doit privilégier l'écoute pour trouver les solutions médianes les moins susceptibles d'engendrer par la suite des conflits ? D'où la nécessité d'une éthique de probité, de transparence, d'équité, d'information totale qui est, dit maître Tamboise, « une manière d'être, une culture ». Ceci, afin d'aboutir à une convention équilibrée entre les parties pour qu'il n'y ait besoin ni de conciliation, ni de réconciliation.
Jean-Pierre Tamboise nous propose enfin une distinction précise entre conciliation et réconciliation : Il y a conciliation lorsque « deux personnes qui négocient durement aboutissent finalement à un accord oubliant tout ce qu'elles ont pu se dire de désagréable pendant la négociation ». Quant à la réconciliation, « elle suppose qu'il y ait d'abord eu entre deux personnes, un rapport de confiance et que celui-ci se soit trouvé détruit par l'attitude de l'une d'elles… Réconcilier, alors, c'est rétablir le rapport de confiance pour revenir à la situation antérieure ». Et il ajoute : « Ce qui est difficile après une confiance trahie. »
Reconnaître cette difficulté conduit, nous semble-t-il, à penser qu'on ne retourne jamais strictement à la situation antérieure, on est dans un contexte nouveau, car on « sait » que la confiance a été trahie et peut donc l'être à nouveau. Il faut alors une décision consciente, un acte délibéré de volonté de rétablir la confiance.


6e article : « Le sacrement de réconciliation »

Un acte délibéré pour rétablir la confiance, n'est-ce pas ce que l'Église propose à travers le sacrement de réconciliation ?
L'auteur : Michel Rondet, théologien jésuite, que nombre d'amis de La Baume connaissent bien nous offre là un article subtil qui, avec l'analyse historique, replace le sacrement dans une perspective qui le rend plus compréhensible. Et la façon dont il a évolué nous montre aussi que les choses ne sont pas figées.
Dans les premiers siècles, la réconciliation ne concerne pas les problèmes personnels de culpabilité. La rémission des péchés est le fruit du baptême qui, sans que le nouveau converti cesse de se reconnaître pécheur, l'inclut dans le pardon de Dieu. Le souci constant est celui de l'unité de la communauté ecclésiale.
Une première évolution apparaît avec les persécutions qui provoquent des apostasies publiques. Comment réintégrer ensuite dans la communauté ceux qui le désirent ? Il y aura, après un temps de pénitence, un geste ecclésial solennel d'accueil présidé par l'évêque. Ce n'est qu'au Moyen Âge qu'apparaît la nécessité de formaliser une démarche de réconciliation personnelle que les fidèles recherchent en allant trouver les moines pour se confier à eux.
Ensuite, pas de grands changements avant le concile Vatican II et la publication en 1973 du nouveau rituel de la réconciliation, complété en 1978. Michel Rondet souligne le caractère théologal de la réconciliation : « Un acte du Père qui, dans l'envoi du Fils et le don de l'Esprit, se réconcilie toutes choses. » Trois formes de réconciliation sont officialisées qui auront des fortunes diverses : la réconciliation personnelle, la célébration communautaire avec absolution individuelle et la célébration communautaire avec absolution collective… qu'il aurait sans doute fallu penser plutôt « communautaire », précise l'auteur.
Aujourd'hui, dit-il encore, les confessionnaux sont relégués dans les coins sombres des églises. C'est souvent le cas, mais on remarque aussi, parmi les membres du clergé et peut-être dans les plus jeunes, une sorte de nostalgie de ces confessionnaux…
Pour Michel Rondet, il y a quelque chose à inventer qui rejoint le souci des premiers siècles : maintenir l'unité d'une communauté dans la charité afin d'ouvrir un avenir plus fraternel en célébrant ensemble le pardon et redonner « son sens ecclésial à la réconciliation personnelle ».


7e article : « La réconciliation en Christ »

Dans le sacrement donné par l'Église, c'est le Christ qui pardonne. C'est en Christ que la réconciliation se vit. François Bousquet, prêtre et théologien, trouve des accents quasi mystiques pour en parler. On a sans doute là l'acmé du dossier.
Pour l'auteur, bien loin du replâtrage qu'on y voit trop souvent, la réconciliation est, à travers le Christ, « voie praticable d'une alliance neuve comme le matin du monde, […] re-création ». Elle est, dit-il, « comme un horizon qui s'élargit », bien loin du mal qui fascine, du ressentiment qui empoisonne l'existence. Elle n'est pas simple réparation qui laisserait des traces, mais signe d'un amour divin « sans repentir ni fêlure », car Dieu ne cesse jamais d'envisager l'homme comme « toujours digne d'être aimé ». Et l'Église a pour mission, par les sacrements, de signifier l'ampleur de ce salut dans la réalité concrète de la vie humaine. Comment l'homme ne vivrait-il pas alors un véritable retournement dans cette liberté créatrice et généreuse, donnée par la grâce, sans commune mesure avec les efforts pour améliorer ses vertus que François Bousquet dit être le comportement du païen (et qui est bien souvent notre comportement, même si nous ne nous disons pas païens !). Pour Bousquet, le chrétien va de la grâce à l'éthique, conscient que l'unique dessein de Dieu est de partager sa vie. Donner, recevoir, partager : « L'on aura reconnu, dit-il encore, les trois gestes qui font les personnes dans le Dieu unique, le Père, le Fils, l'Esprit. »
Comment cela s'opère-t-il ? La scène du centurion au pied de la croix en Mc 15,39 nous le révèle. Ce qui permet au centurion de s'écrier : « Vraiment, cet homme était le fils de Dieu » n'est pas que Jésus soit mort, mais qu'il soit mort « ainsi », « préférant prendre sur lui, ne pas se retourner contre l'autre avec violence et y laisser sa peau pour que l'autre vive ». On ne peut manquer de voir là un parallèle avec le serviteur souffrant dont parlait Isaïe. Un autre chemin est ouvert, de transfiguration, « qui s'inaugure de réconciliation en réconciliation », pour un avenir de possibles bien réel.
François Bousquet appelle cela la « fonction re- » : recréer, réconcilier, renouveler, ressusciter. Et cela commence avec la réconciliation avec soi-même. S’accepter soi-même, et faire avec tout ce sur quoi nous n'avons pas de prise : famille que l'on n'a pas choisie, voisins, compagnons de travail, âge qui avance… « Toutes les saisons sont belles », dit l'auteur. Rien à voir avec une attitude stoïque, mais accueil du « donné » qui conduit à une véritable libération. À l'inverse, refuser la réconciliation est un enfermement.
Et c'est le « plus haut » qui doit être réconcilié, le « meilleur ». « Réconciliation de source » (cf. Ep). Pour chaque être humain, reconnaître la manière dont il est appelé à être « témoin de l'Éternel dans le monde » à travers toutes les différences vécues non pas comme divisions, mais comme richesse. L'autre difficulté de la réconciliation, dit-il encore, est « l'aveu », qui devient possible et non humiliant lorsqu'il est vécu dans la foi absolue en la bienveillance divine. Aveu nécessaire pour discerner les conditions où ne pas se mettre pour éviter la rechute.
Enfin, « s'il y a un lieu où il y a à se réconcilier, dit-il en terminant, c'est bien l'Église ». Elle a à chercher en son sein des chemins de guérison, non pas à travers des intérêts communs, mais en prenant conscience de la grâce qui lui est faite en regard de ce qu'elle donne à voir. « L'extraordinaire des chrétiens, dit-il, est qu'ils acceptent de proclamer une Parole dont ils savent que, les premiers, elle les juge. » L'Église, lieu où il y a à se réconcilier, mais aussi lieu où il y a réconciliation, parce que cette même Église est témoin que la réconciliation avec Dieu nous est donnée.


8e article : « Réconciliation en Terre sainte ? »

Cette Église que nous venons d'évoquer est née en Terre Sainte. « Sainte », oui, nous la désignons ainsi par tout ce qu'elle porte de promesse divine, mais non terre de paix, mais terre en attente d'une réconciliation toujours espérée. C'est pour nous le sens du point d'interrogation que porte le titre.
L'auteur : Mgr Michel Sabbah, né à Nazareth en 1933, a été patriarche latin de Jérusalem (de 1987 à 2008). Il est le premier arabe d'origine palestinienne à avoir été nommé à cette fonction.
Envers et contre tout, Mgr Sabbah est un homme d'espérance. Il écrit en témoin des difficultés, mais en chrétien qui croit vraiment au dessein divin. L'analyse historique qu'il propose de la situation au Proche-Orient est nécessairement brève, mais permet tout de même à un esprit occidental de percevoir la complexité de la situation. Soulignons deux points : 1. Jérusalem : ville de la Rédemption est cependant restée signe de contradiction ; 2. Terre Sainte, terre de pluralisme religieux et de tension entre les croyants des différentes nations. Terre dont les habitants ont changé de caractère, de culture, de langue, de religion au fil des siècles. Aujourd'hui, terre de deux peuples pour trois religions ! Comment ne serait-elle pas terre de conflit ?
Rappelant les grandes dates des affrontements et leurs conséquences, Michel Sabbah fait aussi état des médiations multiples. Le conflit en Terre Sainte n'a jamais cessé d'intéresser l'Occident, alors qu'on parle beaucoup moins d'autres pays qui connaissent un état de guerre permanent et depuis des décennies. Pourquoi cela ? Peut-être, nous a-t-il semblé, parce que résonne toujours pour nous la parole du psalmiste : « On appelle Sion ma mère, car en elle tout homme est né. »
Les difficultés sont multiples qui tiennent par exemple à la différence de perception des situations, ainsi la définition même du conflit : Pour les Israéliens, il s'agit d'une lutte contre le terrorisme palestinien. L'occupation elle-même, pour eux, est un fait secondaire. Pour les Palestiniens, il s'agit de mettre fin à l'occupation, afin de créer un État palestinien indépendant .
La confiance entre Juifs et Arabes se dégrade, mais, à l'inverse, « les organisations pour la défense des droits de l'Homme constituent un espace de compréhension de l'autre et d'autocritique » . Beaucoup, dont Michel Sabbah, pensent que la décision d'établir deux États indépendants est la seule solution, mais quelques-uns, devant les difficultés à réaliser cet objectif du fait de l'occupation territoriale, parlent d'un seul État avec égalité complète entre Juifs et Arabes… Alors : quadrature du cercle ?
Pour tout croyant sincère, le conflit politique est un véritable défi que certains acceptent de relever, puisque des croyants des trois religions se rencontrent, tel le Conseil des Institutions Religieuses de Terre Sainte. D'autres signes encore : en décembre 2009, un document palestinien sur la situation, intitulé Un moment de vérité, a invité à voir la grâce de Dieu agir dans tous les événements ! La seule action face au mal dont souffre la Terre Sainte est le commandement de l'amour, rappelle Michel Sabbah. « Amour qui consiste à voir l'image de Dieu en toute personne humaine, y compris en l'ennemi […] [car] l'ennemi n'est pas seulement un ennemi mais porteur de l'image de Dieu. » « Croire la réconciliation possible, dit-il encore, croire en la bonté de l'autre », jusqu'à ramener Jérusalem à sa vocation première : être la ville de la Rédemption.


9e article : « Le chemin de Damas »

Terre de réconciliation espérée encore que Damas où l'expérience relatée par Joan D. Chittister fait écho à celle de saint Paul, vécue dans le même lieu. « Croire en la bonté de l'autre, dit-elle, devient possible lorsqu'on prend la peine de le rencontrer vraiment. »
L'auteur est moniale bénédictine depuis une quarantaine d’années. Elle conçoit la vie spirituelle sous un angle nouveau qu’elle incarne dans ses divers engagements auprès des communautés de religieuses américaines et dans sa lutte pour la reconnaissance des droits des femmes dans la société et dans l’Église .
C'est comme membre d'un réseau pacifiste, multiconfessionnel et international des femmes responsables religieux, le « Global Peace Initiative Women », que Joan D. Chittister part en Syrie avec une petite délégation. L'objectif : « Pratiquer la diplomatie de citoyen à citoyen. » Le voyage est une réponse à l'invitation de l'ambassadeur de Syrie à Washington disant que les Syriens avaient besoin de rencontrer des Américains qui ne les haïssent pas. L'événement qu'elle relate ici a eu lieu au lendemain du conflit israélo-libanais de juillet-août 2006, la tension politique est donc à son comble.
L'expérience n'a rien d'angélique, elle est vécue en vérité dans toute la dureté de la réalité. Mais elle témoigne de l'importance de rencontrer l'autre : « Je n'avais jamais vu les visages de mes victimes auparavant et elles n'avaient jamais vu le visage de leur ennemi, qui en réalité n'en était pas un. »
« Le chemin de Damas est toujours un chemin de conversion, conclut-elle. Avant de nous découvrir de nouveaux ennemis, nos politiciens devraient peut-être l'emprunter » .


10e article : « Violence, vérité, pardon. Comment rétablir des relations rompues »


Chemin de conversion, chemin de vérité, chemin où il devient possible de rétablir des relations rompues. C'est à cela que nous invite cet article. Pas de point d'interrogation dans le titre, mais pourtant il résonne bien comme une question et une question qui ne sera jamais épuisée par les réponses qu'on pourra apporter.
L'auteur : Jean-François Petit est assomptionniste, professeur de philosophie à l'institut catholique de Paris, rédacteur en chef de La Documentation catholique.
Trois idées essentielles dans la réflexion : 1. « Les chemins de la réconciliation ne sauraient se limiter à des mécanismes exclusivement juridiques » ; 2. Pour trouver des solutions durables, il est nécessaire de réfléchir en profondeur aux mécanismes de la violence ; 3. Et le pardon, dont l'essence est d'origine religieuse, est-il transposable sur le terrain politique ?
D'abord, il y a nécessité de comprendre la violence. C'est là une affirmation, mais que l'auteur ne développe pas, ce qui nous laisse un peu sur notre faim. Il choisit, en portant un regard critique, d'énumérer différents exemples de sortie de la violence, depuis l'utopie de certaines démarches de réconciliation ou de pardon dans le domaine politique jusqu'à l'institution du Tribunal Pénal International, ou de la Cour pénale internationale. Il en montre l'intérêt : mettre un terme aux revanches sans fin, tout en en soulignant les limites, « la justice ne s'arrête pas dès lors qu'on a réparé l'offense ou jugé une poignée de bourreaux », dit-il. Je dirais : le « besoin » de justice ne s'arrête pas là. Dans le même ordre d'idées, Ricœur parle de « Parcours de la reconnaissance ».
Ce parcours vers autre chose que la justice, c'est, pour Jean-François Petit, « l'agapè » : refus de la comparaison et du calcul, préférence pour le présent et prééminence du don sur le désir. Des dispositifs ont vraiment essayé de répondre à ces impératifs comme les commissions d'enquête non judiciaires que sont les Commissions « Vérité et Réconciliation ». Leur rôle : « Contribuer, au sein d'une société, à écouter la souffrance des victimes, à rétablir le dialogue et à écrire une histoire commune. »
« Vérité et réconciliation », recherche de la vérité d'abord, nécessité fondamentale pour mettre un terme à la violence cyclique, mais quelle vérité ? comment ? quand ? jusqu'où ? à quel prix ? Questions sensibles s'il en est, qui me renvoient à la question de Pilate : « Qu'est-ce que la vérité ? » Pour que des actes comme le pardon ou l'amnistie prennent tout leur sens, il faut que le mal soit d'abord reconnu publiquement pour ensuite « pouvoir laisser le passé au passé et donner une nouvelle chance au présent », dit l'auteur.
Sinon, que d'ambiguïtés possibles sur la notion de pardon ! Il n'est ni l'excuse, ni la compassion, ni l'oubli, mais sans doute un peu des trois ; il suppose qu'on se souvienne et qu'on assume. Il est aussi un fait social : le bourreau, comme la victime, a besoin de pardon, le premier pour se libérer, la seconde pour sortir de la soif de vengeance. Deux traits caractéristiques du pardon : opérer une dissociation entre la personne et l'acte commis et, en le libérant de son passé, offrir à la personne la possibilité de faire du neuf.
Alors, « le pardon, dont l'essence est d'origine religieuse est-il transposable sur le terrain politique ? ». Soulignant qu'au sens évangélique, le pardon s'inscrit toujours dans une relation personnelle et qu'il relève du désir et non de l'injonction, l'auteur rappelle en conclusion différentes options prises par les philosophes contemporains sur la transposition du pardon en politique. Retenons ce qu'en dit Hannah Arendt : partant du constat des faiblesses humaines marquées par leur irréversibilité et leur imprévisibilité, elle introduit deux notions, insolites en politique : le pardon et la promesse. Le pardon sert à supprimer les actes du passé, et les promesses, qui lient, permettent de disposer, dans l'océan d'incertitude qu'est l'avenir, des îlots de sécurité qui rendent possible la continuité des relations des hommes entre eux.
Jean-François Petit conclut, avec Ricœur, sur la nécessité d'une « culture de l'estime de l'autre » « pour donner de la chair à nos demandes de pardon comme à l'acceptation du pardon pour les offenses qui nous ont été faites ».


11e article : « En attendant le retour du Christ »

À ce point de notre lecture, les concepteurs du dossier nous offrent comme un temps de méditation avec la lecture ou la re-lecture de la 3e prière eucharistique de la réconciliation. Elle sert en quelque sorte d'introduction et d'argument à cet article.
L'auteur, Remi de Maindreville, s.j., est le rédacteur en chef de la revue Christus.
Que reste-t-il à espérer lorsqu'il n'y a plus rien ? Si l'on fait, malgré tout, le choix de la vie ou de la survie, ne risque-t-on pas le repliement sur soi ? ou l’engrenage de la violence ? C’est pourtant là que la foi nous invite à « tenir bon dans l'espérance ». Tenir bon, car il y a du sens à espérer en une réconciliation possible, car la vocation de toute personne est de vivre la vie même de Dieu : « La gloire de Dieu, c'est l'homme vivant ! » L'Écriture en témoigne sans cesse, tout comme, peut-être, les exemples que nous connaissons ou que nous avons quelquefois vécus nous-mêmes. Et c'est cela que le Christ est venu manifester : la vie donnée et donnée en abondance car « les liens nés de la foi et de la parole donnée traversent la mort » !
Dans la foi et la tradition spirituelle, l'histoire de l'humanité est histoire de la réconciliation de l'humanité avec Dieu, de la réconciliation de l'humanité avec elle-même.
Rassemblant ce qui a été approfondi par certains des articles précédents, Remi de Maindreville rappelle à quel point la société est en demande de réconciliation tout comme l'individu est en recherche d'harmonie intérieure ou interpersonnelle.
Dans la foi, c'est Dieu qui invite à la réconciliation, vécue dans une relation ecclésiale. « L'invitation de Dieu engage un processus, un chemin intérieur, dit-il. C'est laisser venir progressivement à la mémoire l'image de l'autre (qui peut être soi-même) agresseur ou blessé, se laisser habiter par lui et engager une relation intérieure avec lui, quel que soit son désir de faire ou non la paix. » Je vois là la signification du titre du dossier : « Se laisser réconcilier », non pas un acte de maîtrise, mais un acte d'abandon dans une confiance sans réserve (à l'exemple du fils prodigue de l'évangile de Luc ou de Christian de Chergé dans son testament). Cela va bien au-delà, mais sans la dénigrer pour autant, d'une réconciliation nécessaire au bien-être intérieur ou social, qui est, me semble-t-il pourtant, une condition du vivre-ensemble. Cela pose la question de la finalité de nos réconciliations : que cherchons-nous vraiment ?
Parvenir à une telle qualité de réconciliation, nous dit encore l'auteur, cela engage un combat pour lequel nous avons un défenseur : l'Esprit Saint, défenseur de l'image de Dieu en l'homme qui nous permet d'échapper au travail de sape du mal, de celui que l'Apocalypse appelle l’« Accusateur » et qui nous maintient si volontiers dans la victimisation et l'accusation. La réconciliation avec Dieu, en Christ, est don gratuit, inconditionnel qui nous rend à la vie. Ce n'est « jamais un retour au statu quo ante, mais renouvellement, résurrection, création nouvelle ». D'où l'importance, nous rappelle l'auteur en terminant, du geste que la liturgie nous invite à poser au début de chaque célébration eucharistique : « Si tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, pose là ton offrande, va trouver ton frère et réconcilie-toi avec lui. »

J'ai envie, pour finir, d'emprunter les mots de Christiane Singer dans son dernier livre : « Quand il n'y a plus rien, il n'y a que l'Amour. […] L'amour n'est pas un sentiment, c'est la substance de la création » .